samedi 8 septembre 2018

Jour anniversaire du Mahasamadhi de Sri Nisargadatta Maharaj


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Entretien no 69 (Je Suis)


Q: Mon ami est allemand et je suis né en Angleterre de parents français. Je suis en Inde depuis plus d’un an, et je vais d’ashram en ashram.
M: Observez-vous des pratiques spirituelles (sadhanas) ? 
Q: J’étudie et je médite.

M: Sur quoi méditez-vous ?

Q: Sur ce que je lis.
M: Très bien.

Q: Que faites-vous, Monsieur ?
M: Je suis assis.

Q: Et quoi d’autre.

M: Je parle.

Q: De quoi parlez-vous ?
M: Voulez-vous une conférence ? Il serait préférable que vous vous adressiez à quelqu’un qui vous touche réellement afin de la ressentir plus profondément. A moins que vous ne vous sentiez émotionnellement concerné, nous pouvons avoir une discussion, mais il n’y aura pas de véritable compréhension entre nous. Si vous me dites que rien ne vous ennuie, que vous n’avez pas de problèmes, pour moi, c’est parfait et nous pouvons en rester là. Mais si quelque chose vous importe vraiment, alors nous avons des raisons de parler. 
Vous poserai-je la question ? Quel sens attachez-vous à votre vagabondage d’ashram en ashram ? 
Q: Rencontrer des gens, et essayer de les comprendre.
M: Quels sont les gens que vous essayez de comprendre ? Que cherchez-vous exactement ? 
Q: L’intégration.

M: Si vous désirez l’intégration, vous devez savoir qui vous voulez intégrer. 
Q: En rencontrant les gens et en les regardant, on en vient aussi à se connaître soi- même, cela va de pair.
M: Cela ne va pas nécessairement de pair. 
Q: L’un tire parti de l’autre.
M: Cela ne marche pas de cette façon. Le miroir affecte l’image, mais l’image n’améliore pas le miroir. Vous n’êtes ni le miroir, ni l’image dans le miroir. Après avoir perfectionné le miroir afin qu’il réfléchisse correctement, vraiment, vous pouvez le retourner et y voir une véritable réflexion de vous-même - véritable dans la mesure où le miroir peut réfléchir. Mais la réflexion n’est pas vous - vous êtes celui qui voit la réflexion. Comprenez bien cela - quoi que vous puissiez percevoir, vous n’êtes pas ce que vous percevez. 
Q: Je suis le miroir et le monde est l’image ?
M: Vous pouvez voir aussi bien l’image que le miroir, vous n’êtes ni l’un ni l’autre. Qui êtes-vous ? Ne vous laissez pas emporter par les phrases. La réponse n’est pas dans les mots. Le plus que vous puissiez exprimer avec des mots, qui s’approche le plus de la réalité, est que je suis ce qui rend la perception possible, la vie qui est au-delà de celui qui ressent et de sa sensation. 
Et maintenant, pouvez-vous vous séparer à la fois du miroir et de l’image dans le miroir et vous tenir complètement seul, isolé ? 
Q: Non, je ne le peux pas.
M: Comment savez-vous que vous ne pouvez pas ? Vous faites beaucoup de choses tout en ignorant comment les faire. Vous digérez, vous faites circuler votre sang et votre lymphe, vous faites bouger vos muscles, tout cela sans savoir comment. De la même façon, vous voyez, vous sentez, vous pensez sans en savoir le pourquoi et le comment. De la même manière vous êtes vous-même sans le savoir. Il n’y a rien de défectueux en vous en tant que soi, il est ce qu’il est, à la perfection - c’est le miroir qui n’est pas clair ni fidèle et qui, par conséquent, vous donne des images fausses. Vous n’avez pas besoin de vous corriger, mais seulement de corriger l’image que vous avez de vous. Apprenez à vous séparer de l’image et du miroir, rappelez-vous : « Je ne suis ni le mental, ni les idées dans le mental » ; faites-le avec patience et conviction et vous parviendrez certainement à une vision directe de vous-même en tant que source de l’être connaissant. aimant, éternel, qui embrasse tout et qui pénètre tout. Vous êtes l’infini concentré dans un corps. Actuellement, vous ne voyez que le corps. Essayez avec application et vous ne verrez plus que l’infini. 
Q: Quand l’expérience de la réalité se produit, dure-t-elle ?
M: Toute expérience est nécessairement transitoire. Mais le fondement de l’expérience est immuable. Rien que vous puissiez appeler événement ne dure. Mais certains d’entre eux purifient le mental, d’autres le ternissent. Les moments d’intuition profonde, d’amour universel purifient le mental, alors que les désirs et les craintes, les envies et les colères, les croyances aveugles et l’arrogance intellectuelle polluent et ternissent la psyché. 
Q: La réalisation de soi est-elle si importante ?
M: Sans elle vous seriez consumé par la répétition dénuée de sens des désirs et des peurs dans des souffrances sans fin. La plupart des gens ignorent qu’il peut y avoir un terme à la souffrance. Mais une fois qu’ils ont entendu la bonne nouvelle, il devient évident à leurs yeux que la tâche la plus urgente est de dépasser tous les conflits et toutes les luttes. Vous savez que vous pouvez être libre et que, maintenant, cela dépend de vous. Ou bien vous demeurez à jamais affamé, assoiffé, soupirant, quêtant, retenant et vous agrippant, toujours perdant et vous lamentant toujours, ou vous vous engagez, de tout votre coeur, sur la voie de l’état de perfection intemporel auquel on ne peut rien ajouter, dont on ne peut rien retrancher. Dans cet état, les désirs et les peurs sont absents, non parce qu’on y a renoncé, mais parce qu’ils ont été vidés de toute signification. 
Q: Jusqu’ici, je vous suis. Et maintenant, qu’attendez-vous de moi ?
M: Il n’y a rien à faire, juste être. Ne faites rien, soyez. Pas d’escalade de montagne, pas de retraite au fond d’une caverne. Je ne vous dis même pas : « Soyez vous-même » puisque vous ne vous connaissez pas. Soyez, c’est tout. Ayant vu que vous n’êtes ni le monde « extérieur » de la perception, ni le monde « intérieur » du concevable, que vous n’êtes ni le corps, ni le mental, soyez uniquement. 
Q: Il y a certainement des degrés dans la réalisation.
M: Dans l’auto-réalisation, il n’y a pas de paliers. Ce n’est pas quelque chose de graduel. Cela arrive soudainement et c’est irréversible. Vous passez dans une nouvelle dimension d’où les anciennes sont vues comme de pures abstractions. Comme au lever du soleil vous voyez les choses telles qu’elles sont, dans la réalisation, vous voyez chaque chose telle qu’elle est. Vous avez laissé derrière vous le monde de l’illusion. 
Q: Dans l’état de réalisation, les choses changent-elles ? Deviennent-elles pleines de couleurs et de sens ?
M: Cette expérience est vraie, mais ce n’est pas l’expérience de la réalité (sadanubhav), mais de l’harmonie de l’univers. 
Q: Néanmoins, c’est un progrès.
M: Il ne peut y avoir de progrès que dans la préparation (sadhana). La réalisation est soudaine. Le fruit mûrit doucement, mais il tombe soudainement et sans retour. 
Q: Je suis en paix, physiquement et mentalement, de quoi ai-je besoin de plus ?
M: Votre état peut ne pas être l’état ultime. Vous saurez que vous êtes retourné à votre état naturel à l’absence totale de désir et de peur. En fait, à la base de tout désir comme de toute peur se trouve la sensation de ne pas être ce que vous êtes. Comme une articulation fait mal quand elle est déboîtée, puis se fait oublier quand elle a été remise d’aplomb, le fait d’être obsédé par soi est le symptôme d’une distorsion mentale qui disparaît des qu’on a atteint l’état normal. 
Q: Oui, mais quelle sadhana pratiquer pour parvenir à l’état naturel ? 
M: Attachez-vous à la sensation « je suis », à l’exclusion de toute autre chose. Quand le mental devient ainsi complètement silencieux, il brille d’une nouvelle lumière et il vibre de nouvelles connaissances. Cela vient tout à fait spontanément, vous n’avez qu’à vous attacher à « je suis ». C’est comme de sortir du sommeil ou d’une extase et de se sentir reposé, sans savoir cependant pourquoi et comment on se sent si bien de même, dans la réalisation, vous vous sentez complet, achevé, libéré du complexe désir-peur, sans être toujours à même d’expliquer ce qui est arrivé, pourquoi et 
comment. Vous ne pouvez exprimer cet état que négativement rien ne va mal en moi. Ce n’est que par comparaison avec le passé que vous savez en être sorti. Autrement, vous n’êtes que vous-même. N’essayez pas de le communiquer à d’autres. Si vous le pouvez, ce n’est pas l’état véritable. Soyez silencieux et regardez-le s’exprimer dans l’action. 
Q: Si vous pouviez me dire ce que je deviendrai, cela pourrait m’aider à surveiller mon développement.
M: Comment pourrait-on vous dire ce que vous deviendrez quand il n’y a pas de devenir Vous découvrez simplement ce que vous êtes. Vouloir se conformer à un modèle, c’est une grave perte de temps. Ne pensez ni au passé ni à l’avenir, soyez simplement. 
Q: Comment puis-je être simplement ? Les changements sont inévitables.
M: Les changements sont inévitables dans le changeant, mais vous n’y êtes pas sujet. Vous êtes le fond immuable sur lequel les changements sont perçus. 
Q: Tout change, le fond aussi. Il n’y a pas besoin d’un: arrière-plan immuable pour percevoir le changeant. Le soi est transitoire – il n’est que le point ou se rencontrent le passé et l’avenir.
M: Bien sûr, le soi basé sur la mémoire est momentané. Mais un tel soi nécessite, derrière lui, une continuité sans faille. Vous savez, par expérience, qu’ii se produit des trous quand votre soi est oublié. Qu’est-ce qui le rappelle à la vie ? Qu’est-ce qui vous réveille le matin Il doit y avoir un facteur constant qui enjambe les trous de conscience. Si vous regardez attentivement, vous constaterez que même votre conscience de tous les jours fonctionne par éclairs, que des trous se produisent constamment. 
Qu’y a-t-il dans ces trous ? Qu’est-ce que cela peut être sinon votre être réel qui est intemporel. Mental et absence d’activité mentale sont pour lui une et même chose. 
Q: Me conseillez-vous un endroit particulier pour une réussite spirituelle ?
M: Le seul endroit qui convienne, c’est au-dedans. Le monde extérieur ne peut ni vous aider ni vous entraver. Aucun système, aucun type d’action ne vous amèneront à votre but. Renoncez à tout travail en vue de l’avenir, concentrez-vous totalement sur le maintenant, ne soyez concerné que par votre réponse à chaque mouvement de la vie tel qu’il arrive. 
Q: Quelle est la cause de l’impulsion à l’errance ?
M: Il n’y a pas de cause. Vous ne faites que rêver votre vagabondage. Dans quelques années, votre séjour en Inde vous apparaîtra comme un rêve et à ce moment-là, vous rêverez quelque autre rêve. Réalisez que ce n’est pas vous qui allez de rêve en rêve, mais que les rêves passent devant vous et que vous êtes le témoin immuable. Aucun événement n’affecte votre être réel c’est une vérité absolue. 
Q: Ne puis-je pas me mouvoir physiquement tout en restant intérieurement immobile ?
M: Vous le pouvez, mais à quoi cela vous servirait-il ? Si vous êtes sérieux vous finirez par avoir assez de votre vagabondage et vous regretterez la perte de temps et d’énergie qu’il représente. Pour vous découvrir, vous n’avez pas besoin de faire un seul pas... 
Q: Y a-t-il une différence entre l’expérience du Soi (atman) et celle de l’Absolu (brahman) ?
M: Il ne peut pas y avoir d’expérience de l’Absolu puisqu’il transcende toute expérience. D’un autre côté, le Soi est le facteur sensible dans toute expérience, et il rend par là valable la multiplicité des expériences. Le monde peut être plein de choses de grandes valeurs, mais s’il ne se trouve ‘personne pour les acheter, elles n’ont plus de prix. L’absolu contient tout r r qu’on peut éprouver, mais s’il n’y a personne pour éprouver, il n’y a plus que néant. Ce qui rend l’expérience possible, c’est l’Absolu ce qui la rend réelle, c’est le Soi. 
Q: N ‘atteint-ont pas l’Absolu par une série d’expériences ? Nous commençons par les plus grossières, nous finissons par la plus sublime.
M: Il ne peut pas y avoir d’expérience si nous n’en avons pas le désir. Il peut y avoir une gradation dans le désir, mais entre le plus sublime des désirs et la libération de tout désir, il y a un abîme qu’il faut franchir. Le non-réel paraît réel, mais il est fugace. Le réel ne craint pas le temps. 
Q: Le non-réel n’est-il pas l’expression du réel ?
M: Comment cela serait-il possible ? C’est comme de dire que la vérité s’exprime elle- même en rêves. Pour le réel, le non-réel n’existe pas. Il ne pour le réel que parce que vous croyez en lui ; doutez-en, il s’évanouit. Quand vous êtes amoureux vous communiquez une réalité à votre sentiment – vous imaginez votre amour tout puissant et perpétuel. Quand il est fini, vous vous dites je pensais qu’il était réel, mais il ne l’était pas n. L’impermanence est la meilleure preuve de l’irréalité. Ce qui est limité dans le temps et dans l’espace, ce qui ne s’applique qu’à. une seule personne, n’est pas réel. Le réel est pour tous et pour l’éternité. 
Vous vous chérissez par-dessus tout. Vous n’accepteriez rien en échange de votre existence. Le désir d’être est le plus fort de tous les désirs et il n’aboutira que dans la réalisation de votre vraie nature. 
Q: Même dans le non-réel, il y a une pointe de réalité. 
M: Oui, vous lui communiquez la réalité en le considérant comme réel. Une fois que vous êtes convaincu, vous êtes lié par votre conviction. Quand le soleil brille, les couleurs apparaissent, quand il se couche, elles disparaissent. Que sont les couleurs sans la lumière ? 
Q: C’est là s’exprimer en termes de dualité.

M: Toute pensée n’existe que dans la dualité. Dans l’unité aucune pensée ne survit.  


Extrait de « Je Suis », Edition des Deux Océans, 1982