mercredi 27 janvier 2010

Derniers entretiens (3)

Un jour, un visiteur ayant soulevé la question de « l’éthique » et du comportement moral (thèmes qui ont toujours été considérés hors sujet en ce lieu), Maharaj fut si amusé qu’en dépit d’une extrême faiblesse physique, il s’assit et dit qu’il ne cesserait jamais d’être étonné devant la confusion mentale manifestée même par des présumées intellectuels. Il s’étrangla littéralement de rire, dans un violent accès de toux. « Une fois que vous avez compris qu’il existe un lieu spécifique, les toilettes, destiné à un certain usage, interrogea-t-il, iriez-vous faire cela dans le salon ou dans la chambre à coucher ?

A partir du moment où il y a une aperception sans équivoque de votre véritable nature, à partir du moment où vous avez clairement vu la nature du faux, est-il question d’avoir à décider du bien-fondé ou non d’une action ? Qui va en décider ? Possède-t-on l’autonomie de volonté pour statuer ? Existe-t-il réellement le moindre choix ? Une fois que l’on a a-perçu qu’il n’existe aucune entité jouissant de la moindre liberté d’action, la « vie » qui suivrait ne serait-elle pas une vie totalement non volitive ? L’aperception par elle-même, autrement dit, ne conduirait-elle pas à un abandon – ou plus exactement, à une cessation spontanée du concept même d’une activité volitive ? Peu importe que l’on pense vivre ; en réalité, nous sommes seulement « vécus ». »

Epuisé par ce bref mais pétulant exposé, Maharaj se rallongea dans son lit, disant qu’il aurait aimé développer ce point, mais qu’il n’en avait tout simplement pas la force physique. « Et c’est peut-être tout aussi bien, ajouta-t-il avec une pointe d’humour forcé, que je ne puisse plus donner maintenant que des pastilles de connaissance. »

*

Ce matin-là, Maharaj était trop faible pour ne serait-ce que se tenir assis, mais il était d’humeur à causer. Il se mit à parler lentement à voix basse : « Quel magnifique sujet nous avons là ! Le sujet est insaisissable, la personne qui pense écouter est illusoire, et pourtant personne n’est convaincu de ne pas exister ! Quand vous venez ici, je vous reçois avec plaisir et je vous offre mon humble hospitalité, mais ce faisant, je suis pleinement conscient de la situation exacte, à savoir qu’il n’existe ni orateur, ni auditeur. Pourquoi se fait-il que personne ne puisse sincèrement dire qu’il n’existe pas ? Parce que l’on sait être présent – ou plutôt, il y a un sentiment intuitif de présence ; mais aussi, et cela est un point capital, parce qu’aucune entité ne pourra jamais dire qu’elle n’existe pas. Le simple fait qu’une entité affirme qu’elle n’existe pas, témoigne de son existence !

Cependant, voici le point le plus important, et qui n’est guère facile à saisir : la source de cette personne phénoménale (qui est la manifestation de l’Absolu) est l’absence de l’Absolu. Bien plus – je me demande combien d’entre vous pourront appréhender mes paroles – cela signifie qu’à chaque fois que l’esprit est en « jeûne », exempt de toute conceptualisation, il y a absence de l’objet manifesté, et cette présence de l’absence de l’objet manifesté est l’Absolu. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

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