samedi 30 janvier 2010

Derniers entretiens (4)

C’était un dimanche, et la petite chambre de Maharaj était comble. La plupart des visiteurs étaient des habitués, mais un petit groupe venait d’arriver d’une région reculée du pays. Leur « capitaine » se rendit compte de l’épuisement physique de Maharaj et se résigna à devoir se satisfaire, avec ses compagnons, d’un simple Darshan. Mais Maharaj se redressa dans son lit, tourna directement son regard sur le groupe de nouveaux venus et demanda en souriant s’ils avaient des questions, ajoutant qu’il ne se sentait vraiment pas bien physiquement et qu’il espérait que ces questions seraient judicieuses. Le groupe se consulta brièvement à voix basse, et le « chef » dit avec un grand respect qu’il n’avait qu’une question à poser : Existe-t-il réellement une chose telle que « l’illumination » ? Il ajouta que cette question n’était pas posée avec frivolité, mais s’appuyait sur une longue quête spirituelle. Maharaj sourit et commença à parler, en dépit de l’épuisement nettement visible sur son visage. Il s’assit bien droit et sa voix prit une vigueur inattendue. « Malgré ce que je ne cesse de leur répéter, dit-il, même les visiteurs réguliers semblent incapables d’accepter le fait que la notion d’une nécessité individuelle d’illumination est un pur non-sens. Fondamentalement, seul « Je » existe ; il n’y aucun « moi » ou « vous », à illuminer. Comment un objet phénoménal, qui n’est qu’une apparition, pourrait-il être transformé par « l’illumination » en quelque chose d’autre que ce qu’il est, c’est-à-dire une apparition ? « L’illumination », c’est a-percevoir que tout ce que nous croyons être notre condition normale – celle d’un objet – n’est qu’une condition temporaire, comme une maladie, qui est venue se greffer sur notre état véritable et normal, d’Absolu. On réalise tout à coup que ce qui était considéré « normal », en fait ne l’était pas. Cette aperception entraîne une sorte de réajustement instantané faisant passer d’une existence individuelle, à simplement l’existence en tant que telle ; la volition disparaît et quoi qu’il se produise, cela semble juste et adéquat. On devient témoin de tout ce qu’il se produit, ou plutôt, seul demeure l’action témoin. »

*

Ce matin-là, Maharaj reposait dans son lit, manifestement au-delà du mental. Pendant plusieurs minutes, les visiteurs – pas très nombreux, car nous étions en semaine – restèrent assis en silence. Soudain le maître ouvrit les yeux, et dit très doucement qu’il n’y aurait pas d’entretien car il était trop faible pour parler. Mais il nous adressa un sourire bienveillant et ajouta d’une voix ténue : « Si seulement vous pouviez appréhender, profondément et intuitivement, ce que vous étiez avant d’acquérir ce corps-avec-conscience, disons il y a une centaine d’années, vous pourriez voir le monde, même de cette prison physique, sans le sentiment de dualité – sans vous prendre pour ce centre individuel illusoire. La conceptualisation cesserait. »

Puis le maître agita la main pour indiquer que l’entretien était terminé, et les visiteurs se dispersèrent.

*

Dimanche 12 juillet 1981 – Comme de coutume ces derniers temps, Maharaj était couché dans son lit, sa fidèle élève et intendante, Anna, lui massant les jambes. Il respirait relativement difficilement, essentiellement par la bouche, et semblait presque complètement endormi. Puis soudain il se démena pour s’asseoir, et on l’aida à se redresser. Reposant lourdement sur les oreillers mis en place derrière son dos, il se mit à parler d’une voix étonnement ferme. « Ce que je veux vous dire est d’une simplicité surprenante, pour peu que cela soit a-perçu. Et l’amusant en est que cela ne peut être a-perçu que si « l’auditeur » est totalement absent ! Alors seul demeure l’a-percevoir et vous êtes cet a-percevoir.

Voilà ce qu’il en est : l’Absolu s’exprime dans la manifestation ; la manifestation prend place au travers de millions de formes ; la conscience fonctionne dans chacune de ces formes, le comportement et le fonctionnement de chaque forme correspondant, sur un plan général, à la nature fondamentale de la catégorie à laquelle appartient ladite forme (plante, insecte, lion ou être humain), et sur un plan particulier, à la nature de la combinaison spécifique des éléments fondamentaux dans chacune de ces formes.

Aucun être humain n’est semblable à un autre (ne serait-ce qu’au niveau des empreintes digitales) car les permutations et combinaisons des millions de nuances des huit aspects (les cinq éléments fondamentaux et les trois Guna) donnent lieu à des milliards de formes, dont aucune n’est exactement semblable à une autre. Des millions de ces formes sont constamment créées et détruites dans le processus de la manifestation.

Une perception claire de ce processus de la manifestation comporte la compréhension que : a) Il n’est en réalité absolument pas question de la moindre identification à une quelconque forme individuelle, car la base même de cette manifestation-spectacle est la durée (de chaque forme) et la durée est un concept de temps ; et b) Notre véritable nature est l’acte-témoin de ce spectacle. Il va sans dire que l’acte-témoin ne peut avoir lieu que tant que se poursuit le spectacle, et le spectacle ne peut se poursuivre que tant qu’il y a conscience. Et qui va comprendre tout ceci ? La conscience, bien sûr, qui s’efforce de chercher sa source et ne la trouve pas, car le chercheur est le cherché. A-percevoir cette vérité constitue la seule (et définitive) libération, et le « joker », dans tout cela, est le fait que même la « libération » constitue un concept ! Maintenant, allez et réfléchissez à cela. »

A l’issue de ces quelques mots, Maharaj était totalement épuisé. Il se rallongea dans son lit. D’une voix faible, il ajouta : « Ce que j’ai dit ce matin est toute la Vérité que chacun a besoin de connaître. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

mercredi 27 janvier 2010

Derniers entretiens (3)

Un jour, un visiteur ayant soulevé la question de « l’éthique » et du comportement moral (thèmes qui ont toujours été considérés hors sujet en ce lieu), Maharaj fut si amusé qu’en dépit d’une extrême faiblesse physique, il s’assit et dit qu’il ne cesserait jamais d’être étonné devant la confusion mentale manifestée même par des présumées intellectuels. Il s’étrangla littéralement de rire, dans un violent accès de toux. « Une fois que vous avez compris qu’il existe un lieu spécifique, les toilettes, destiné à un certain usage, interrogea-t-il, iriez-vous faire cela dans le salon ou dans la chambre à coucher ?

A partir du moment où il y a une aperception sans équivoque de votre véritable nature, à partir du moment où vous avez clairement vu la nature du faux, est-il question d’avoir à décider du bien-fondé ou non d’une action ? Qui va en décider ? Possède-t-on l’autonomie de volonté pour statuer ? Existe-t-il réellement le moindre choix ? Une fois que l’on a a-perçu qu’il n’existe aucune entité jouissant de la moindre liberté d’action, la « vie » qui suivrait ne serait-elle pas une vie totalement non volitive ? L’aperception par elle-même, autrement dit, ne conduirait-elle pas à un abandon – ou plus exactement, à une cessation spontanée du concept même d’une activité volitive ? Peu importe que l’on pense vivre ; en réalité, nous sommes seulement « vécus ». »

Epuisé par ce bref mais pétulant exposé, Maharaj se rallongea dans son lit, disant qu’il aurait aimé développer ce point, mais qu’il n’en avait tout simplement pas la force physique. « Et c’est peut-être tout aussi bien, ajouta-t-il avec une pointe d’humour forcé, que je ne puisse plus donner maintenant que des pastilles de connaissance. »

*

Ce matin-là, Maharaj était trop faible pour ne serait-ce que se tenir assis, mais il était d’humeur à causer. Il se mit à parler lentement à voix basse : « Quel magnifique sujet nous avons là ! Le sujet est insaisissable, la personne qui pense écouter est illusoire, et pourtant personne n’est convaincu de ne pas exister ! Quand vous venez ici, je vous reçois avec plaisir et je vous offre mon humble hospitalité, mais ce faisant, je suis pleinement conscient de la situation exacte, à savoir qu’il n’existe ni orateur, ni auditeur. Pourquoi se fait-il que personne ne puisse sincèrement dire qu’il n’existe pas ? Parce que l’on sait être présent – ou plutôt, il y a un sentiment intuitif de présence ; mais aussi, et cela est un point capital, parce qu’aucune entité ne pourra jamais dire qu’elle n’existe pas. Le simple fait qu’une entité affirme qu’elle n’existe pas, témoigne de son existence !

Cependant, voici le point le plus important, et qui n’est guère facile à saisir : la source de cette personne phénoménale (qui est la manifestation de l’Absolu) est l’absence de l’Absolu. Bien plus – je me demande combien d’entre vous pourront appréhender mes paroles – cela signifie qu’à chaque fois que l’esprit est en « jeûne », exempt de toute conceptualisation, il y a absence de l’objet manifesté, et cette présence de l’absence de l’objet manifesté est l’Absolu. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

samedi 23 janvier 2010

Derniers entretiens (2)


Un autre matin, Maharaj reposait à demi assis dans son lit, les yeux clos. Un par un, les visiteurs étaient arrivés et s’étaient assis en silence. Voyant le maître reposer, ils méditaient, les yeux fermés. Il est surprenant de voir combien il est facile d’entrer dans l’état de l’esprit « en jeûne » en présence du maître. Tout à coup, Maharaj se mit à parler, encore que d’une voix très faible. « Vous venez ici en attendant quelque chose. Certes, vous désirez la Connaissance, avec un C majuscule – la Vérité suprême – mais vous attendez néanmoins quelque chose. La plupart d’entre vous viennent ici depuis relativement longtemps. Pourquoi ? S’il y avait eu aperception de ce que j’ai dit, il y a longtemps que vous auriez dû cessez de venir ! Mais voilà ce qu’il s’est produit : en fait, vous êtes venu ici jour après jour, identifiés à des êtres individuels, de sexe masculin ou féminin, en compagnie de plusieurs personnes ou choses que vous dites « vôtres ». Et qui plus est, vous pensez être venus ici de votre propre volonté, voir un autre individu – un guru – qui, espérez-vous, va vous « libérer » de votre « attachement ».

Ne voyez-vous pas combien tout ceci est grotesque ? Votre présence ici, jour après jour, ne montre qu’une seule chose : vous n’êtes pas prêts à accepter ma parole qu’il n’existe rien de tel qu’un « individu » ; que « l’individu » n’est qu’une apparition ; qu’une apparition ne peut souffrir d’aucun « attachement » et, par conséquent, qu’il ne saurait être question d’une quelconque « libération » pour une apparition.

Réalisez-vous que la base même de votre recherche est fallacieuse – que pouvez-vous faire ? Et y a-t-il quelque chose à faire ? Par qui ? Par une apparition ?

Ce n’est pas tout. Certains enregistrent mes propos sur un magnétophone ; d’autres prennent des notes. Dans quel but ? Pour renforcer encore un peu plus le conditionnement ? Ne réalisez-vous pas qu’il n’a jamais été question du moindre « vous » ? Quoi qu’il ait pu se produire (si tant est qu’il se soit produit quelque chose), cela a été spontané. Il n’y a jamais eu de place pour un individu dans le Tout de la manifestation ; tout le fonctionnement se passe au niveau de l’espace physique conceptuel (Mahadâkâsh), lequel est contenu dans une parcelle de conscience conceptuelle, espace mental du temps, de la perception et de la cognition (Chid-âkâsh). Et cette totalité du connu finit par se fondre dans la potentialité infinie de la Réalité intemporelle et a-spatiale (Paramâkâsh). Dans cette manifestation conceptuelle, des formes innombrables sont créées et détruites, l’Absolu étant immanent dans toutes les formes phénoménales. Dans tout cela, où les individus figurent-ils en tant qu’individus ? Nulle part. Et pourtant partout, car nous sommes la manifestation. Nous sommes le fonctionnement. Nous sommes la vie en train d’être vécue. Nous sommes la vie du rêve. Mais pas en tant qu’individus.

L’aperception de cette vérité annihile le chercheur individuel ; le chercheur devient le cherché et le cherché, c’est l’aperception. »

*

Lors d’un autre entretien, Maharaj aborda un autre aspect de ce même thème (les visiteurs qui viennent le voir en quête de connaissance). Cette fois-là, il demanda : « Quelle est cette « connaissance » que vous désirez, cette connaissance sur laquelle vous prenez des notes ? Quel usage allez-vous faire de ces notes ? Avez-vous accordé la moindre réflexion à ce sujet ?

La seule chose qui compte, poursuivit-il, est la suivante : Eprouviez-vous le moindre désir de connaissance il y a cent ans ? Cela, que vous ne connaissez pas et ne pouvez pas connaître, est votre état véritable. Ceci, que vous pensez être réel parce que ce peut être objectivé, est ce que vous emblez être. Quoi que vous cherchiez à savoir sur votre condition véritable, cela est inconnaissable, parce que vous êtes ce que vous cherchez. Toute la connaissance que vous pouvez obtenir se situe à un niveau conceptuel – la connaissance impartie à une apparition objective. Une « connaissance » de ce type ne diffère en rien de « l’ignorance », car ce sont des contreparties interreliées appartenant au registre conceptuel.

En d’autres termes, la compréhension intellectuelle n’est qu’une conceptualisation et à ce titre, elle est totalement illusoire. Comprenez bien, je vous en prie, la différence entre cette connaissance conceptualisée et l’aperception intuitive, non conceptuelle. En fait, a-percevoir, c’est un voir-total, ou voir-intégré, radicalement du voir intellectuel. Une fois qu’il y a aperception, la dualités des contreparties, base même de la simple compréhension intellectuelle, disparaît totalement. Il n’est nullement question de « quiconque » pensant qu’il a compris quelque chose au moyen du raisonnement et de la logique. La compréhension véritable est aperception spontanée, intuitive et sans choix, et totalement non-duelle. Méditez sur ce que je viens de dire. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

mardi 19 janvier 2010

Derniers entretiens (1)

Voici un florilège de ces derniers entretiens. Il ne pouvait pas parler longtemps ; il lui fallait être bref, mais tout ce qu’il disait avait nature d’ensemencement et constituait comme un catalyseur pour les auditeurs. C’était le Grand Au-Delà qui parlait, et non un frêle vieillard entre les griffes de la mort !

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Cela fait maintenant (juin 1981) quinze jours que Maharaj ne peut plus s’adresser aux visiteurs avec sa vivacité coutumière. Sur la requête pressante d’un grand nombre d’entre nous, il a accepté que les entretiens soient limités à une demi-heure, et c’est tout aussi bien car même ces trente minutes de paroles sont si épuisantes pour lui, qu’il ne peut même plus tenir assis lorsqu’elles s’achèvent.

Les paroles de Maharaj, pour être moins abondantes, n’en sont que plus fécondes. Il dit que sa faiblesse physique l’empêche d’élaborer ce qu’il désire transmettre. C’est là une sorte de « bénédiction déguisée », ajoute-t-il. Car maintenant, les visiteurs vont devoir prêter d’avantage attention à ce qu’il dit, sans laisser leur esprit vagabonder ; et ils vont aussi devoir se livrer par eux-mêmes à une certaine réflexion !

De nombreux visiteurs, face à son extrême faiblesse physique, restreignent désormais leurs questions au minimum bien que Maharaj les presse d’éclaircir leurs difficultés. « Il reste si peu de temps maintenant », les exhorte-t-il.

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Un matin, un habitué, cherchant peut-être à détourner l’esprit de Maharaj de sa souffrance physique, commença à parler de divers sujets et à poser des questions relativement superficielles. Maharaj, bien sûr, ne tarda pas à voir au travers de son jeu et se redressa dans son fauteuil. « Je sais ce que vous êtes en train d’essayer de faire, dit-il, mais vous oubliez que je ne suis pas ce que vous pensez que je suis. Je ne souffre pas ; je ne peux pas souffrir car je ne suis pas un objet. Bien sûr, il y a souffrance. Mais réalisez-vous ce qu’est la souffrance ? Je suis la souffrance. Quoi qu’il soit manifesté, j’en suis le fonctionnement. Quoi qu’il soit perceptible, j’en suis le percevoir. Quoi qu’il soit fait, j’en suis le faire ; je suis cela qui fait et, comprenez bien cela, je suis aussi ce qui est fait. En fait, je suis le fonctionnement total.

Si vous avez a-perçu cela, vous n’avez pas besoin d’en savoir plus. Ceci est la Vérité. Mais le mot significatif, dans cette phrase, c’est : « a-perçu ». Ce que j’ai dit, je l’ai dit pour moi-même. Mais si vous avez a-perçu cela, vous pouvez aussi dire la même chose. Vous et moi ne sommes pas deux, mais la même Unicité Absolue.

Si cette aperception prévaut, il vous sera tout simplement impossible d’avoir un quelconque différend avec qui que ce soit, peu importe que cette personne fait ou ne fait pas. Pourquoi ? Parce que vous aurez alors réalisé que quoi qu’il se produise, cela fait partie du fonctionnement global dans la conscience et qu’aucun objet manifesté (c’est à dire une simple apparition dans la conscience d’un tiers) ne saurait posséder la moindre autonomie d’existence ou de volonté d’action. Réfléchissez profondément à cela ».

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

dimanche 17 janvier 2010

Les Orients de l'être

Le coeur de l'enseignement de Sri Nisargadatta Maharaj réside dans la connaissance de notre identité véritable. Cette connaissance constitue le point clef autour duquel tourne tout le reste. Là se trouve la vérité cruciale. Et l'aperception de cette vérité ne peut intervenir que par un vécu personnel intense, non par une étude des textes religieux qui, selon le propre terme de Maharaj, ne représentent pour nous que des " ouï-dire". S'appuyant sur des faits irréfutables et rejetant systématiquement toute hypothèse ou spéculation, il s'adresse souvent au nouveau visiteur en ces termes : «Vous êtes assis là, je suis assis ici, et dehors il y a le monde — et, pour le moment, nous pouvons présumer qu'il doit exister un créateur, appelons-le Dieu. Ces trois/quatre données constituent des faits, ou un vécu, pas un «ouï-dire». Limitons donc notre conversation à ces seuls points.»

Ce point de départ exclut automatiquement, avec le «ouï-dire», tout ce qui relève des textes traditionnels, conférant aux entretiens de Maharaj un sentiment vivifiant de fraîcheur et de liberté. Ses propos n'ont nul besoin du support des paroles ou des expériences d'un tiers — soit, en fin de compte, tout ce que les textes traditionnels représentent pour nous. Cette approche désarme totalement ces personnes « instruites » qui viennent pour impressionner les autres visiteurs par leur savoir, tout en espérant obtenir de Maharaj un « certificat » attestant du haut niveau de leur propre « évolution». Et en même temps, elle stimule énormément le vrai chercheur qui préfère partir de zéro.

Avec une telle entrée en matière, le visiteur voit généralement partir en fumée la plupart des questions qu'il avait préparées : elles se fondaient sur du « ouï-dire».En général, Maharaj aide ce visiteur en l'incitant à s'interroger : «En l'absence de quoi, demandera-t-il par exemple, personne au monde ne serait à même de percevoir ou faire quoi que ce soit ? Sans quoi vous ne seriez même pas en mesure de poser la moindre question, et moi de répondre ? Si vous et moi n'étions pas conscients, pourrions-nous avoir cette conversation ? Qu'est-ce que la " conscience " ? N'est-ce pas le sentiment d'être présent, d'être vivant ? Et ce sentiment de Présence Consciente n'a en réalité rien à voir avec la présence d'un individu en particulier : c'est le sentiment de présence consciente en tant que tel. Sans cette conscience, par exemple quand celle-ci quitte le corps au moment de la mort, l'entourage se défait rapidement du corps — on l'enterre ou on l'incinère — parce que sinon, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire la chair en décomposition commencerait à sentir mauvais. Où donc se trouve alors celui qui, lorsque la conscience était là, était peut-être considéré comme un génie ? On dit qu'il est " mort ". »

LA CONSCIENCE BASE DE TOUTE LA MANIFESTATION

Maharaj dit aux visiteurs qu'il ne parle que d'un seul sujet : la conscience, ou état Je suis. Toute question relative à autre chose serait vaine, car il faut que cette conscience soit présente avant que quoi que ce soit puisse être. Si je ne suis pas (conscient), dit-il, le monde n'est pas — comme dans le sommeil profond. Le monde n'existe pour moi que lorsque je suis conscient. Toutes les interrogations du chercheur, affirme Maharaj, doivent par conséquent avoir trait à cette conscience : Comment est-elle apparue ? Quelle est sa source ? Qu'est-ce qui l'entretient ? Quelle est sa nature ? Les réponses à ces interrogations peuvent conduire à la vraie connaissance. Sans la conscience il ne peut y avoir aucune existence de l'objet manifesté, et donc la conscience constitue le Dieu le plus éminent qu'un individu puisse concevoir au sein de son individualité, peu importe le nom qu'il lui donne — Krishna, Ishvara, Shiva, Christ, etc. Quand la conscience quitte le corps, il n'y a plus ni individu, ni monde, ni Dieu.


La relation entre le corps physique et la conscience, dit Maharaj, doit être clairement perçue. La conscience ne
peut être consciente d'elle-même que tant qu'elle se manifeste dans une forme manifestée, un corps — que ce soit celui d'un insecte, d'un ver de terre, d'un animal ou d'un être humain. Sans corps, dans son état d'Absolu, la conscience n'est pas consciente d'elle-même. Sans conscience, le corps n'est qu'un matériau inerte. Le corps, par conséquent, est la nourriture qui entretient la conscience et l'instrument par lequel elle fonctionne. En fait, dit Maharaj, la conscience est la « nature », ou «identité », ou « essence » du corps physique, comme la douceur est l'essence du sucre.


Une fois que nous avons compris cette relation intime entre le corps et la conscience, Maharaj nous demande de découvrir la source de ce corps-conscience. Comment est-il apparu ? La source du corps humain est la semence mâle ensemencée dans l'ovule de la matrice féminine ; et au moment de la conception, la conscience se trouve là à l'état latent. C'est cela — la semence mâle fécondée renfermant la conscience latente — qui se développe dans le sein maternel, est délivré le moment venu sous la forme d'un bébé, devient un enfant et croît tout au long de sa plage de vie. Quelle est la force qui sous-tend cette croissance naturelle ? Rien d'autre que la conscience latente dans la semence mâle, cette dernière étant elle-même l'essence de la nourriture consommée par les parents. Il devait donc être clair, dit Maharaj, que la conscience est la nature même du corps physique (comme la douceur est la nature du sucre), et que le corps physique est constitué et entretenu par la nourriture, elle-même l'essence des cinq éléments. Dans ce processus naturel spontané, l'individu, en tant que tel, n'a aucune valeur. Le corps individuel est constitué de nourriture, et la conscience est universelle, présente en toutes choses. Comment l'individu pourrait-il donc prétendre à une existence séparée, ou bien se dire atta­ché et demander la libération pour lui-même ?

Le moindre individu a-t-il été consulté à propos de sa « naissance » et des parents qui lui sont échus ? Le «moi » et le « mien » ne sont apparus qu'après la nais­sance, laquelle constitue nettement le produit d'un pro­cessus naturel dans lequel ni les parents, ni le nouveau- né, n'ont eu le moindre choix. En d'autres termes, souligne Maharaj, le corps-avec-conscience est un dispo­sitif spontanément créé à partir des cinq éléments (l'éther, l'air, le feu, l'eau et la terre) et des trois attri­buts (Sattva, Rajas et Tamas). Ce dispositif croît au fil de sa plage de vie puis «meurt» — c'est-à-dire, retourne aux cinq éléments, et la conscience qui était circonscrite dans le corps est libérée pour de nouveau fusionner dans la Conscience Impersonnelle.

Maintenant, demande Maharaj, dans ce processus naturel de création et destruction d'un dispositif mani­festé, où est-il question d'un «vous» ? Vous n'avez jamais pris part à la création de ce dispositif que «vous» êtes censé être. Vos parents vous ont dit que vous étiez «né» et que ce corps-là était «vous». Mais vous n'avez en fait aucune expérience réelle de cette «naissance ». Ce qui est né, c'est un dispositif manifesté, un appareil psycho­somatique qui est animé par la conscience. En l'absence de la conscience, non seulement ce dispositif-corps n'est d'aucune utilité, mais il faut l'éliminer le plus rapide­ment possible.


Qui donc êtes-«vous » ? Vous êtes, dit Maharaj, ce que vous étiez avant que le corps-avec-conscience ne vienne à l'existence, vous êtes ce que vous étiez «il y a une cen­taine d'années» !


A ce stade, s'élève tout naturellement une question : Qui donc agit dans le monde sous la forme du corps ? A cela, Maharaj répond : Tout, dans la manifestation, est la conscience; c'est la conscience qui agit au travers des millions de corps, conformément à la nature innée de ce qui compose chaque corps. Il existe des millions de formes psychosomatiques mais aucune n'est, à tous égards, exactement semblable à une autre, car chacune présente une combinaison distincte des cinq éléments, plus les trois attributs. Chaque élément possède ses propres caractéristiques, et chaque attribut de même. Imaginez les millions de nuances que peut prendre cha­cun de ces huit aspects, et les milliards et trilliards de permutations et combinaisons possibles ! La conscience agit au travers des corps physiques, chacun doté d'une nature et d'un tempérament qui lui sont propres, fondés en partie sur sa constitution physique et en partie sur le conditionnement reçu. Si cela est clairement compris, il devrait aussi être clair comme de l'eau de roche qu'au­cun individu ne détient l'autonomie d'une action indivi­duelle. Mais l'individu, dans son ignorance, est convaincu que c'est lui qui agit; il « prend livraison », comme dit Maharaj, des actions qui ont lieu, il s'empri­sonne lui-même dans un attachement illusoire, et éprouve de la souffrance et du plaisir. Voilà comment apparaît «l'attachement ».

L'homme se considère comme une créature spéciale, différente de tout le reste de la création ; mais — et Maharaj tient à ce que nous comprenions parfaitement cela — en ce qui concerne les ingrédients de la constitu­tion physique, il n'existe aucune différence entre les divers types de créatures douées de perception. Seul le processus de création diffère.

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

Source : sages.wikia

mardi 5 janvier 2010

Entretien du 05 janvier 1977 (extrait)


Maharaj : Je refuse tous les Upanishads, je n’accepte pas les écritures, car, tous ont été écrits par l’attribut Je Suis. Ils ne décrivent pas ma véritable nature, qui elle, est sans attribut, au-delà des mots et des concepts. Ils peuvent désigner mon véritable état, mais sans pouvoir l’atteindre, car je suis au-delà de tous les événements relatifs. Sur le chemin du Jnana Yoga, on sait que l’on a toujours été libre, donc, si quelqu’un a cette connaissance, il ne suivra aucun autre chemin de Bhakti, Kama, Kundalini Yoga, etc. Savoir que ce n’est pas ce que je suis, constitue le véritable renoncement. Lorsque vous devenez ce je suis, naturellement, vous rejetez tout.

Extrait de « Nisargadatta. Notes » de Mark West. Editions Charles Antoni / L’Originel. 2007