samedi 31 janvier 2009

Entretien du 29 décembre 1976 (Notes)


Maharaj : La joie objective est contenue dans le Soi. J’ai établi une différenciation entre la connaissance transcendantale (pas de connaissance) et la connaissance objective. Vous devez seulement désapprendre la connaissance objective, elle voile la connaissance transcendantale qui, elle, en est le témoin.

La connaissance transcendantale demeure lorsque la connaissance objective est désapprise.

Vous êtes, et cela même est amour. L’amour que vous êtes, vous fait agir et quand cet amour est manifesté pour l’univers entier, c’est l’amour divin. Le fondement de tout amour est cet amour que vous êtes. Le principe Je suis est la base de tout amour. La conscience que vous êtes est donc le point de départ de l’amour, l’essence de l’Etre est amour. Votre vraie nature est le même amour transcendantal.

Lorsque vous vous êtes manifesté, la dualité est apparue, et vous avez ressenti de l’amour pour des noms et des formes particulières, mais il ne s’agit pas du véritable amour. Vous devez retourner à l’essence (le Soi) et, alors, seulement, vous êtes l’amour véritable. Quand vous êtes, à nouveau, cet amour vivant, les gens se prosternent à vos pieds et s’en remettent à vous.

Le Soi est Amour et l’Amour est le Soi. L’amour entre des corps, mâle et femelle existe, mais c’est le Soi sans forme qui est derrière ces corps, et donc, en réalité, c’est notre propre Soi que nous aimons. C’est pour étancher notre soif d’amour du Soi, que nous allons d’un endroit à l’autre. A moins que le Soi ne vous bénisse, vous continuerez à errer. Vous aimez le Soi, non pas que vous devez l’aimer, mais parce qu’Il est votre vraie nature, votre essence même.

Toutes vos activités dans ce monde : gagner de l’argent, la famille, les amis, les possessions, ont pour unique objectif cette joie ou cette paix. C’est, parce que vous êtes séparé du Soi, que vous êtes malheureux et misérable. Le monde apparaît dans votre lumière. Lorsque vous comprendrez cela, vous comprendrez, comment, l’illusion de ce monde peut apparaître, surajoutée à la Réalité.

Dans le monde objectif, nous nous réjouissons des choses et des événements, à travers la conscience (Je suis), qui n’est, elle-même, pas la Réalité. Mon état véritable est au-delà de cette conscience : ce n’est que lorsque je ne fais qu’un avec lui, que je peux obtenir une joie durable.

Dans le monde objectif, à peine une personne sur un million essaye d’obtenir cette joie durable et ne fait qu’un avec le Soi, toutes les autres poursuivent les objets de ce monde objectif et demeurent, à jamais, dans la misère et l’esclavage.

Une fois que vous connaissez le Soi, toute la joie objective y est contenue, vous n’avez donc plus besoin de rien ni d’aller nulle part. Pour connaître le Soi en vous, aimez-vous, et restez en vous-même. Bhakti (ou avoir de l’amour pour Dieu) est de nouveau la dualité. L’idée ou la conscience de Je suis est née dans le mental cosmique et n’est qu’une apparence, mais, la Vérité ou la Réalité ne renferme aucune idée – toute la cosmologie, les cinq éléments, etc. peuvent être rejetés. D’ailleurs, ils ne sont donnés qu’à titre de concept pour éliminer les fausses identifications.

Par l’intuition, vous obtenez l’idée de Je suis, elle est intérieure à Je suis , et la source des cinq éléments. La véritable naissance d’un enfant se situe lors de l’explosion des sentiments entre mari et femme, après cela, ils s’accouplent et l’enfant naît. Identiquement, ce sens du Je suis, est apparu dans la Conscience de la pure existence, et, de cette graine, est né le monde entier et tout l’univers. A partir de cette petite graine, des millions de formes apparaissent, pourtant, la Conscience pure n’est jamais née et bien que des millions d’objets en jaillissent, ils ne sont qu’apparence, il n’y a ni naissance, ni mort dans la Réalité.


Extrait de « Nisargadatta. Notes » de Mark West. Editions Charles Antoni / L’Originel. 2007

Entretien du 13 avril 1977 (Notes)


Maharaj : En venant ici, il semble que vous obteniez quelque

chose et ce quelque chose c’est la découverte de ce que vous

êtes. Vous vous êtes rendu compte que rien, en réalité, ne

vous arrive ou ne peut vous affecter. Une fois que vous avez

trouvé ce que vous êtes, vous savez que rien ne peut

réellement vous arriver. Vous savez que tout arrive à cause

de vous et non à vous.

Vous avez compris que l’autorité ou le pouvoir est avec

vous. Le Soi est en vous. Quand vous vous interviewez

vous-même, l’interviewer et l’interviewé sont une seule et

même personne. Quel peut en être le résultat final ? Il n’y a

eu ni gain ni perte, ce n’était que le domaine de la pensée.

Quoi que vous « possédiez » (nationalité, nom, forme, sexe,

etc.) cela ne restera pas avec vous. Vous devez être capable

de vous interroger vous-même en utilisant votre pouvoir de

discrimination pour réaliser que rien dans ce monde objectif

ne restera avec vous. Même Dieu, (Ishwara, le Seigneur ou

créateur), est temporel. Même lui, ne pourra pas rester. Vous

avez la connaissance du Soi maintenant, mais quel est le

résultat final, profit ou perte?

Rien, cela ne représente rien. Votre Réalité n’a rien gagné ni

perdu dans tout cela.

Vous pouvez rencontrer un autre guru qui essaiera de vous

donner une sadhana ou technique, mais vous ne vous

laisserez pas avoir. Vous saurez immédiatement qu’elle est

inutile et vous la rejetterez délibérément, car vous savez que

votre vraie nature, votre Réalité, n’a absolument besoin de

rien. Pourquoi devrais-je me préoccuper du mental de

Rajneesh, quand je ne crois même pas le mien.

Je connais la source de mon propre mental, de ce fait, je

connais celle de tout autre mental, et je sais que mon mental

dans sa pureté est Brahman (Dieu), mais je sais aussi que

cela n’est qu’une idée et je suis même au-delà de cela.

La conscience de Je suis est finalement identique au mental.

Tout ce vaste univers est vraiment dans ce mental ou

conscience de Je suis, qui n’est qu’une apparence. Je sais que

mon mental, dans sa pureté absolue, est Ishwara (Seigneur

Dieu ou créateur), mais je suis différent de lui à tout

moment.

Quelle est la nature de cette conscience Je suis, je sais que je

suis différent d’elle et que je suis au-delà. Je connais ma

véritable position, pourquoi aurais-je, donc, besoin de plus

en plus d’activités et de jeux dans ce monde illusoire ?

Pourquoi donc, créer davantage d’illusion à l’intérieur de

l’illusion ? Rajneesh propose tant de techniques et de

méthodes, mais ont-elles vraiment pour objectif d’atteindre

la Réalité qui est toujours avec nous ? Ce qui est vraiment

nécessaire c’est une compréhension correcte de ma vraie

nature, et non toutes ces petites méthodes et techniques.

Ma vraie position est, de tout temps, au-delà de cette

conscience de Je suis. Quoi que ce soit qui puisse sortir de

cette conscience "Je" (mental, corps, monde, etc.), lorsque

je sais que je ne suis pas cela, pourquoi devrais-je être

dépendant de quelque mental, méthode, idée ou technique

qui émanerait de cette conscience illusoire ? Je ne pense

jamais, je n'aspire à rien ni ne désire rien. Je n'ai aucune

idée. Si deux personnes ou deux mille viennent m'écouter,

cela ne changera rien pour moi, car je n'ai pas la notion de

gain ou de perte.

Je sais que Rajneesh n'est qu'un mental ou une personnalité

illusoire, pourquoi donc devrais-je m'occuper de ce que son

mental fait ou dit ? Je sais que je ne suis personne, je n'ai le

sens d'aucune personnalité, je n'ai donc besoin de rien et je

n'ai rien. La conscience de Je suis est l'instrument du corps,

mais en réalité elle n'a ni forme ni couleur.

Les plaisirs du sexe entre l'homme et la femme sont la chose

la plus importante autour de laquelle tout tourne dans le

monde objectif. C'est le plaisir autour duquel tout est bâti,

mais même cela ne constitue qu'un sentiment et non une

Réalité. Certains considèrent que l'acte sexuel pratiqué avec

quelqu'un d'autre que son époux ou épouse est immoral,

d'autres considèrent que le brahmacharya (abstinence) est la

plus grande vertu.

Le vrai Brahmacharya est le Brahman (Soi) qui, en regardant,

voit que la conscience Je suis elle-même est immorale ou

illicite. La naissance de chacun de nous est illicite, car en réalité,

elle est illusoire. Chaque chose que je vois ou perçois, l'est à

l'aide de cette conscience de Je suis qui est impermanente et

illusoire, pourquoi devrais-je donc me sentir concerné ?

Se tournant vers un couple d'Australiens : "Maintenant vous

êtes un couple, mari et femme, mais je sais que vous n'avez

jamais vraiment existé (en tant que personnalité), pourquoi

devrais-je donc me sentir concerné si vous devenez trois, quatre,

ou cinq ? - Si vous avez un, deux ou trois enfants ? Quand la

conscience Je suis est présente, il y a alors, tant de choses et

de personnes, mais lorsqu'elle se retire, il n'y a plus rien ni

personne, quelle est donc, la vraie nature de cette conscience ?

Vous n'êtes aucune chose, mais vous n'êtes pas rien non plus".

Vous devez complétement lâcher le sens du corps, si vous

voulez atteindre ou réaliser cette Réalité, car dans la Réalité,

il n'existe rien de tel que le sens du corps-esprit. Sur quoi

allez-vous pouvoir méditer alors ? Quand il n'y a que le Soi,

reste-t-il quelque chose sur quoi méditer ?


Extrait de "Nisargadatta, Notes" de Mark West, Editions L'Originel

jeudi 29 janvier 2009

Entretien no 37 (Je Suis)


Maharaj : Vous devez commencer par réaliser que vous êtes la preuve de tout, y compris de vous-même. Personne ne peut prouver votre existence parce qu’il faudrait que son existence soit d’abord confirmée par vous. Vous ne devez à personne, votre savoir et votre être. Souvenez-vous en, vous dépendez entièrement de vous. Vous ne venez pas de quelque part, vous n’allez nulle part. Vous êtes l’être intemporel et vous êtes pure conscience (awareness).

Question : Il y a une différence fondamentale entre nous. Vous connaissez le réel alors que je ne connais que le fonctionnement  de mon mental. Le résultat, c’est que vous dites une chose et que j’en entends une autre. Ce que vous dites est vrai ; ce que je comprends est faux bien que les mots soient les mêmes. Il y a un fossé entre nous. Comment le combler ?

M : Abandonnez l’idée que vous êtes ce que vous pensez être et il n’y aura plus de fossé. C’est en vous imaginant séparé que vous avez créé le fossé. Vous n’avez pas à le traverser. Il vous suffit de ne pas le créer. Tout est vous, tout est vôtre. Il n’y a personne d’autre. C’est un fait.

Q : C’est très étrange ! Les mêmes mots qui pour vous sont vrais, sont faux pour moi. « Il n’y a personne d’autre ». La fausseté même !

M : Faux ou vrais, quelle importance ? Les mots importent peu. Ce qui est important, c’est l’idée que vous avez de vous car elle vous bloque. Renoncez-y.

Q : J’ai appris depuis ma plus tendre enfance que je suis limité à mon nom et à ma forme. Une simple affirmation n’effacera pas le sillon mental. Il faudrait, si c’était possible, un lavage de cerveau en règle.

M : Vous appelez ça lavage de cerveau, je l’appelle yoga – aplanir toutes les ornières mentales. Il ne faut pas que vous soyez contraint de penser encore et encore les mêmes pensées. Allez de l’avant.

Q : C’est plus facile à dire qu’à faire.

M : Ne faites pas l’enfant ! Il est plus facile de changer que de souffrir. Sortez simplement de votre puérilité, c’est tout.

Q : On ne fait pas ce genre de choses, elles arrivent.

M : Tout arrive à chaque instant, mais il faut y être préparé. Être prêt, c’est être mûr. Vous ne voyez pas le réel parce que votre esprit n’est pas prêt pour lui.

Q : Si la réalité est ma vraie nature, comment puis-je ne pas être prêt ?

M : Ne pas être prêt, c’est avoir peur. Vous avez peur de ce que vous êtes. Votre but, c’est le Tout, mais vous avez peur d’y perdre votre identité. C’est de la puérilité, c’est comme de s’attacher à ses jouets, à ses désirs et à ses craintes, à ses opinions et à ses idées. Renoncez à tout cela et tenez vous prêt à ce que le réel s’affirme de lui-même. Cette auto-affirmation s’exprime au mieux dans les mots « je suis ». Rien d’autre n’a d’existence, de cela vous êtes absolument certain.

Q : « Je suis », certainement mais aussi « je sais ». Et je sais que je suis ceci et cela, le propriétaire de ce corps, en relations multiples avec d’autres propriétaires.

M : Tout ça, ce n’est que mémoire perçue maintenant.

Q : Je ne peux connaître pour certain que ce qui est maintenant. Le passé et le futur, la mémoire et l’imagination sont des états mentaux, mais ils sont tout ce que je connais et ils sont maintenant. Vous me demandez d’y renoncer, mais comment renoncer au maintenant ?

M : Vous êtes toujours en marche vers le futur, que vous le vouliez ou non.

Q : Je vais de maintenant en maintenant. Je ne bouge absolument pas. Tout bouge, moi pas.

M : D’accord. Mais votre mental, lui bouge. Dans le maintenant, vous êtes à la fois le mobile et l’immobile. Jusqu’à présent vous avez considéré que vous étiez le mobile et vous avez négligé l’immobile. Retournez radicalement votre esprit. Négligez ce qui bouge et vous vous percevrez comme étant la réalité sans changement et toujours présente, inexprimable mais solide comme le roc.

Q : Si c’est maintenant, pourquoi n’en ai-je pas conscience ?

M :  Parce que vous êtes attaché à l’idée que vous n’en êtes pas conscient. Laissez allez cette idée.

Q : Cela ne me rend pas conscient pour autant.

M : Patientez. Vous aimeriez être des deux côtés du mur à la fois. Vous le pourriez, mais il faudrait supprimer le mur. Ou alors, réalisez que le mur et ses deux côtés ne sont qu’un seul et unique espace auquel aucune idée ne s’applique, « ici » ou « là » par exemple.

Q : Les comparaisons ne prouvent rien. Ce dont je me plains, c’est de ceci : pourquoi ne vois-je pas ce que vous voyez, pourquoi vos paroles ne sonnent-elles pas vrai dans mon esprit ? Répondez au moins à cela, tout le reste peut attendre. Vous êtes sage et je suis stupide, vous voyez et je ne vois pas. Où et comment trouverai-je la sagesse ?

M : Si vous savez que vous êtes stupide c’est que vous ne l’êtes pas du tout !

Q : De même que de se savoir malade ne vous rend pas la santé, me savoir idiot ne me fait pas sage.

M : Pour vous savoir malade n’a-t-il pas fallu que vous soyez d’abord en bonne santé ?

Q : Oh non ! Je sais par comparaison. Si je suis aveugle de naissance et que vous me dites connaître les choses sans le toucher, je prends conscience de ma cécité sans savoir ce que voir veut dire. Je sais pareillement qu’il me manque quelque chose quand vous affirmez des propositions que je ne peux pas comprendre. Vous me dites tant de choses merveilleuses à mon sujet ; selon vous je suis éternel, omniprésent, omniscient, suprêmement heureux, je suis le créateur, le conservateur et le destructeur de tout ce qui existe, la source de vie, le cœur de l’être, le seigneur et le bien-aimé de toutes les créatures. Vous m’égalez à la Réalité Ultime, à la source et au but de toute existence. Vous me laissez sans voix car je sais que je ne suis qu’un minuscule agrégat de désirs et de peurs, une bulle de souffrance, un éclair fugitif de conscience sur un océan de ténèbres.

M : Avant que la souffrance ne soit, vous étiez. Après que la souffrance s’en soit allée, vous êtes demeuré. La souffrance est transitoire, vous ne l’êtes pas.

Q : J’en suis désolé, mais je ne vois pas ce que vous voyez. Du jour de ma naissance jusqu’à celui de ma mort la souffrance et le plaisir tisseront la toile de ma vie. Je ne sais rien d’une existence avant la naissance ou après la mort. Je ne vous accepte pas plus que je ne vous nie. J’entends ce que vous dites, mais je ne le connais pas.

M : Actuellement, vous êtes bien conscient, n’est-ce pas ?

Q : Je vous en prie, ne me posez pas de question sur avant ou après. Je ne connais que ce qui est maintenant.

M : Bon. Vous êtes conscient. Tenez-vous y. Il y a des états où vous n’êtes pas conscient. On pourrait les appeler existence inconsciente.

Q : Existence inconsciente ?

M : Conscience ou inconscience ne peuvent pas s’appliquer ici. L’existence est dans la conscience, l’essence est indépendante de la conscience.

Q : Est-ce la vacuité ? Est-ce le silence ?
M : Pourquoi compliquer ? L’existence infuse et transcende la conscience. La conscience objective est une partie de la conscience, elle n’est pas au-delà.

Q : Comment parvenez-vous à connaître un état de pur être qui ne soit ni conscient ni inconscient ? Toute connaissance n’est que dans la conscience. Il doit y avoir un état qui soit comme une suspension du mental. Dans ce cas, la conscience apparaît-elle comme le témoin ?

M : Le témoin ne fait qu’enregistrer des événements.  Quand il y suspension du mental, même la sensation « je suis » disparaît. Il n’y a pas de « je suis » sans mental.

Q : Sans mental, cela veut dire sans pensées. « Je suis », en tant que pensée s’efface. « Je suis », en tant que sens d’être, demeure.

M : Toute expérience s’efface avec le mental. Sans le mental, il n’y a plus ni expérimentateur ni expérience.

Q : Le témoin ne reste-t-il pas ?

M : Le témoin se borne à enregistrer la présence ou l’absence d’expérience. Il n’est pas, en lui-même, une expérience, mais il en devient une quand la pensée : « Je suis le témoin » surgit.

Q : Tout ce que je sais, c’est que, parfois, le mental est en activité, parfois, non. Cette expérience du silence du mental je l’appelle suspension du mental.

M : Appelez-le silence, vacuité ou suspension, le fait est que la trilogie : celui qui expérimente, l’action d’expérimenter et l’expérience n’existe pas. Dans la vision du témoin, dans la pure conscience ou dans la présence à soi il n’y a pas la sensation d’être ceci ou cela. L’être non identifié reste.

Q : En tant qu’état de non-conscience ?
M : Il est l’opposé de tout ce à quoi vous pouvez vous référer. Il se situe également entre et au-delà de tous les contraires. Il n’est ni conscience, ni inconscience, ni à mi-chemin ni au-delà des deux. Il est, en lui-même, sans relation avec quoi que ce soit qu’on puisse nommer expérience, ou absence d’expérience.

Q : Etrange ! Vous parlez de lui comme s’il était une expérience.

M : Quand je pense à lui, il devient une expérience.

Q : Comme la lumière invisible qui, interceptée par une fleur, devient couleur ?
M : Oui, on pourrait le dire. Elle est dans la couleur mais elle n’est pas la couleur.

Q : Toujours cette même quadruple négation de Nagarjuna : ni ceci, ni cela, ni les deux, ni l’un ou l’autre. Mon esprit chavire !

M : Vos difficultés proviennent de votre opinion que la réalité est un état de conscience parmi de nombreux autres. Vous avez tendance à dire : « Ceci est réel, ceci n’est pas réel. Ceci est en partie réel, en partie non-réel », comme si la réalité était un attribut ou une qualité qu’on puisse posséder à des degrés divers.

Q : Permettez-moi de poser la question autrement. Après tout, la conscience ne devient problème que quand elle est douloureuse. Un état de perpétuelle béatitude ne donne pas naissance à des questions. On s’aperçoit que toute conscience est un mélange du plaisant et du déplaisant. Pourquoi ?

M : Toute conscience est limitée, et par conséquent, source d’angoisse. Le désir, le besoin de l’expérience se trouve à la racine de toute conscience.

Q : Voulez-vous dire par là que sans désir il n’y a pas de conscience ? Et quel avantage à être inconscient ? Si je dois renoncer au plaisir pour me libérer de la souffrance, je préfère garder les deux.

M : Au-delà de l’angoisse et du plaisir il y a la félicité.

Q : La félicité non-consciente, à quoi cela peut-il servir ?

M : Pas consciente, ni inconsciente. Réelle.

Q : Quelle objection faites-vous à la conscience ?

M : C’est un fardeau. Corps veut dire fardeau. Les sensations, les désirs, les pensées, tout cela est un fardeau. Toute conscience est conflit.

Q : On décrit la Réalité comme être vrai, pure conscience, béatitude infinie. Qu’est ce que la souffrance a à faire ici ?

M : La souffrance et le plaisir arrivent, mais la souffrance est le prix du plaisir, le plaisir est la récompense de la souffrance. Il vous arrive souvent, dans la vie, de faire plaisir en blessant, ou de blesser en faisant plaisir. Savoir que le plaisir et la souffrance sont un, c’est la paix.

Q : Tout ça, c’est très intéressant, sans aucun doute, mais mon propos est plus simple. Ce que je veux, c’est, dans la vie, plus de plaisir et moins de souffrance. Que puis-je faire ?

M : Tant qu’il y a conscience, il doit y avoir plaisir et souffrance. C’est dans la nature du « je suis », de la conscience de s’identifier aux contraires.

Q : Mais alors, à quoi tout ça peut-il me servir ? Cela ne me satisfait pas.

M : Qui êtes-vous ? Qui est insatisfait ?

Q : Je suis l’homme de la souffrance et du plaisir.

M : La souffrance comme le plaisir sont ananda (béatitude). Je suis là, assis en face de vous, et fort de mon expérience immédiate et invariable, je vous dis que la souffrance et le plaisir sont les creux et les hauts des vagues dans l’océan de la félicité. Dessous, au plus profond, il y a la plénitude absolue.

Q : Votre expérience est-elle permanente ?

M : Elle est hors du temps et sans changement.

Q : Tout ce que je sais, c’est que je veux le plaisir et que j’ai peur de la souffrance.

M : C’est ce que vous pensez de vous-même. Arrêtez. Si vous ne pouvez pas rompre avec une habitude sur le champ, examinez votre mode usuel de penser, et voyez sa fausseté. Questionner l’habitude, c’est le devoir du mental. Ce que le mental a créé, il doit le détruire. Ou alors, réalisez qu’hors le mental il n’y a pas de désir, et situez-vous en dehors de lui.

Q : Franchement, je n’ai pas confiance dans cette façon de tout expliquer comme étant créé par le mental. Le mental est un instrument, au même titre que les yeux. Pouvez-vous dire que la perception est création ? Je vois le monde par la fenêtre, pas dans la fenêtre. Tous vos arguments se tiennent à cause de leur fondation commune, mais je ne sais pas si la fondation est dans la réalité ou dans le mental ? Je ne peux m’en faire qu’une image mentale. Ce que cela signifie pour vous, je ne le sais pas.

M : Tant que vous vous situerez dans le mental, vous me verrez dans le mental.

Q : Combien les mots sont inadéquats à la compréhension !

M : Sans les mots que reste-t-il à comprendre ? Le besoin de comprendre vient de l’incompréhension. Ce que je dis est vrai, mais pour vous ce ne sont que des théories. Comment parviendrez-vous à voir que c’est vrai ? Écoutez, rappelez-vous, réfléchissez ; suscitez des représentations, expérimentez. Appliquez cette règle à votre vie quotidienne. Soyez patient avec moi, et par-dessus tout, soyez patient avec vous-même car vous êtes l’unique obstacle. Le chemin passe, au travers de vous, au-delà de vous. Tant que vous croirez que seul le particulier est réel, conscient, heureux et que vous rejetterez la réalité non-duelle comme quelque chose d’imaginaire, un concept abstrait, vous penserez que je profère des concepts et des abstractions. Mais quand vous serez au contact du réel, à l’intérieur de vous-même, vous découvrirez dans ce que je dis ce qui vous est le plus proche et plus cher. 

 

Extrait de « Je Suis », Edition des Deux Océans, 1982

samedi 24 janvier 2009

Entretien no 78 (Je Suis)


Question : Pouvons-nous vous demander de nous dire de quelle manière vous vous êtes réalisé ?

Maharaj : Dans mon cas, ce fut très simple et très facile. Avant de mourir mon Guru me dit : « Croyez-moi, vous êtes la Réalité Suprême. Ne doutez pas de mes paroles, ne refusez pas de me croire, je vous ai dit la vérité – agissez en conséquence ». Je ne pouvais pas oublier ses paroles et, en n’oubliant pas, je me suis réalisé.

Q : Mais que faisiez-vous réellement ?

M : Rien de particulier. J’ai vécu ma vie, j’ai poursuivi mon commerce et je me suis occupé de ma famille ; chaque instant de liberté, je le passais à me remémorer mon Guru et ses paroles. Il mourut tôt après et je n’avais plus que le souvenir pour me soutenir. Ce fut suffisant.

Q : Cela fut sans doute dû à la grâce et au pouvoir de votre Guru.

M : Ses paroles étaient justes, aussi devinrent-elles vraies. Les paroles justes deviennent toujours vraies. Mon Guru ne fit rien ; ses paroles ont agi parce qu’elles étaient justes. Tout ce que je fis vint de l’intérieur, sans l’avoir demandé ou attendu.

Q : Le Guru mit en marche un processus sans y prendre la moindre part ?

M : Expliquez cela comme vous le voulez. Les choses arrivent comme elles arrivent – qui peut dire pourquoi et comment ? Je ne fis rien délibérément. Tout vint de lui-même – le désir de lâcher prise, d’être seul, de plonger en moi-même.

Q : Vous n’avez fait aucun effort ?

M : Aucun. Croyez moi ou non, je n’étais même pas anxieux de me réaliser. Il me dit uniquement que je suis le Suprême, puis il mourut. Je ne pouvais tout simplement pas ne pas Le croire. Le reste arriva de lui-même. Je découvrais que je changeais – c’est tout. En fait, j’étais étonné. Mais un désir naquit en moi de mettre ses paroles à l’épreuve. J’étais tellement sûr qu’il ne pouvait pas m’avoir menti que je sentais qu’ou bien je réaliserais la pleine signification de Ses paroles, ou que je mourrais. Je me sentais rempli de détermination, mais je ne savais pas quoi faire. Je passais des heures à me souvenir de Lui et à me rappeler sa promesse, je ne discutais pas, simplement, je me remémorais ce qu’il m’avait dit.

Q : Que vous arriva-t-il, alors ? Comment avez-vous su que vous étiez le Suprême ?

M : Personne ne vint me le dire. Pas plus que je ne reçus d’avertissement de l’intérieur. En fait, ce ne fut qu’au début, quand je faisais des efforts, que j’eus des expériences étranges ; de voir des lumières, d’entendre des voix, de rencontrer des dieux et des déesses et de converser avec eux. Dès que le Guru m’eut dit : « Vous êtes la Réalité Suprême », je cessai d’avoir des visions et des extases et je devins très calme et très simple. Je découvris que je désirais et que je connaissais de moins en moins de choses, jusqu’à pouvoir me dire, avec l’étonnement le plus profond : « Je ne sais rien, je ne veux rien ».

Q : Etiez-vous sincèrement libéré du désir et de la connaissance, ou avez-vous incarné un gnani selon l’image que vous en avait donnée votre Guru ?

M : On ne m’avait donné aucune image, et je n’en avais pas. Mon Guru ne m’avait jamais dit à quoi je devais m’attendre.

Q : D’autres choses peuvent encore vous arriver. Etes-vous au terme de votre voyage ?

M : Il n’y a jamais eu de voyage. Je suis tel que j’ai toujours été.

Q : Quelle était cette Réalité Suprême que vous étiez supposé atteindre ?

M : Je n’avais pas été abusé, c’est tout. J’avais l’habitude de créer un monde et de le peupler – je ne le fais plus.

Q : Où vivez-vous donc ?

M : Dans le vide, au-delà de l’être et du non-être, au-delà de la conscience. Le vide est aussi plénitude ; ne me prenez pas en pitié. Je suis comme l’homme qui dit : « J’ai achevé ma tâche, il ne reste plus rien à faire ».

Q : Vous donnez une date précise de votre réalisation. Cela veut dire qu’il se produisit quelque chose pour vous à cette date. Qu’arriva-t-il ?

M : Le mental cessa de produire des phénomènes. La poursuite ancienne et incessante s’arrêta – je ne désirais plus rien, je n’attendais plus rien – je n’acceptais rien comme m’appartenant. Je n’avais plus de « moi » pour faire des efforts en sa faveur. Même le pur « je suis » s’estompa. Je remarquai autre chose, j’avais perdu toutes mes certitudes coutumières. Avant, j’étais sûr de tant de choses, maintenant je ne suis sûr de rien. Mais j’ai le sentiment de n’avoir rien perdu à ne pas savoir parce que tout mon savoir était faux. Ne pas savoir était en soi la connaissance que tout savoir est ignorance, que « Je ne sais pas » est la seule affirmation juste que peut faire le mental. Prenez l’idée « je suis né ». Vous pouvez la croire vraie, elle ne l’est pas. Vous n’êtes jamais né et vous ne mourrez jamais. C’est l’idée qui est né et qui va mourir, pas vous. C’est en vous identifiant à cette idée que vous êtes devenu mortel. Au cinéma tout est lumière, la conscience devient de même l’immensité du monde. Examinez de près, et vous verrez que tous les noms et toutes les formes ne sont que des vagues fugitives sur l’océan de la conscience, que c’est de la seule conscience que l’on peut dire : elle est, pas de ses transformations.

Dans l’immensité de la conscience, une lumière apparaît, un point minuscule qui se meut avec rapidité et trace des formes, des pensées et des sensations, des concepts et des idées comme une plume écrivant sur une feuille de papier. L’encre laisse une trace dans la mémoire. Vous êtes ce point minuscule et par vos mouvements, le monde est perpétuellement recréé. Arrêter de bouger, et il n’y aura plus de monde. Regardez en vous-même et vous vous apercevrez que ce point de lumière est le reflet de l’immensité de la lumière en tant que sens du « je suis ». Il n’y a que la lumière, tout le reste ne fait qu’apparaître.

Q : Connaissez vous cette lumière ? L’avez-vous vue ?

M : Elle apparaît au mental comme l’obscurité. On ne peut la connaître que par ses réflexions. Dans la lumière du jour, on voit tout, sauf la lumière du jour.

Q : Dois-je en déduire que nos « mentals » sont identiques ?

M : Comment serait-ce possible ? Vous avez votre mental privé dont la trame est vos souvenirs qui tiennent ensemble les désirs et les peurs. Je n’ai pas un mental qui serait le mien ; ce que j’ai besoin de savoir, l’univers le dépose devant moi, comme il me fournit la nourriture que je mange.

Q : Connaissez-vous tout ce que vous désirez savoir ?

M : Il n’y a rien que je désire savoir. Mais ce que j’ai besoin de savoir, j’en reçois la connaissance.

Q : Cette connaissance vous vient-elle du dedans, ou la recevez-vous de l’extérieur ?

M : Ici, cela ne veut rien dire. Ce qui m’est intérieur est au-dehors, et ce qui m’est extérieur est au-dedans. Je peux obtenir de vous le savoir dont j’ai besoin à cet instant, mais vous n’êtes pas séparé de moi.

Q : Qu’est ce que turiya, le quatrième état dont nous entendons parler ?

M : Etre le point de lumière qui dessine le monde, c’est turiya. Etre la lumière elle-même, c’est turiyatita. Mais à quoi servent les noms quand la réalité est si proche ?

Q : Dans votre état, y a-t-il progression ? Quand vous comparez ce que vous êtes aujourd’hui à ce que vous étiez hier, vous trouvez-vous changé, faites-vous des progrès ? Votre vision de la réalité croît-elle en amplitude et en profondeur ?

M : La réalité est immuable et cependant en constant mouvement. Elle est dans une rivière puissante – elle coule, mais elle est toujours présente – éternellement. Ce qui coule, ce n’est pas la rivière avec son lit et ses berges, mais son eau. De même, sattva guna, l’harmonie universelle, mène son jeu contre tamas et rajas, les forces des ténèbres et du désespoir. En sattva, il y a toujours changement et progrès, en rajas, changement et régression alors que tamas signifie le chaos. Les trois gunas jouent éternellement l’un contre l’autre – c’est un fait, et on ne peut pas discuter un fait.

Q : Faut-il que tamas me plonge toujours dans la torpeur et rajas dans le désespoir ? Et sattva, qu’est-il ?

M : Sattva est le rayonnement de votre nature authentique. Vous pouvez toujours le trouver au-delà du mental et de ses nombreux mondes. Mais si vous voulez un monde, il faut que vous acceptiez les trois gunas comme étant inséparables – matière, énergie et vie – un en essence, mais séparés en apparence. Ils se mêlent et coulent dans la conscience. Il y a dans le temps et l’espace un courant éternel, naissance et mort, toujours renouvelé : avance, recul, une autre avance et de nouveau, le recul – apparemment sans commencement ni fin. La réalité, elle, est intemporelle, immuable, incorporelle, Pure Conscience non mentale – béatitude.

Q : Je comprends que, selon vous, chaque chose est un état de conscience. Le monde est plein de choses – un grain de sable est une chose, une planète en est une autre. Comment sont-elles reliées à la conscience ?

M : La matière commence là où la conscience s’arrête. Une chose est une forme d’être que nous n’avons pas comprise. Elle ne change pas – elle est toujours la même – elle paraît être là, d’elle même – quelque chose de bizarre et d’étranger. Evidemment, elle est dans chit, la conscience, mais elle paraît lui être extérieure à cause de son immuabilité apparente. Le fondement des choses se trouve dans la mémoire – sans elle, il n’y aurait pas de re-connaissance. Création, réflexion, rejet – Brahma, Vishnu, Shiva – c’est le processus éternel. Toutes les choses sont gouvernées par lui.

Q : Ne peut-on pas y échapper ?

M : Je ne fais rien d’autre que de vous montrer l’issue. Comprenez que le Un inclut les Trois, que vous êtes le Un, et vous serez libérez du déroulement du monde.

Q : Mais alors, qu’arrive-t-il à ma conscience ?

M : Après l’étape de la création vient celle de l’examen et de la réflexion, puis pour finir, celle du renoncement et de l’oubli. La conscience demeure, mais dans un état latent, tranquille.

Q : L’état d’identité subsiste-t-il ?

M : L’état d’identité est inhérent à la réalité et il ne s’efface jamais. Mais l’identité n’est ni la personnalité impermanente (vyakti), ni l’individualité liée au karma (vyakta). C’est ce qui reste quand toute auto-identification est abandonnée parce que perçue comme fausse – la Pure Conscience, la sensation d’être tout ce qui est ou pourrait être. La conscience est pure au début, et pure à la fin ; dans l’intervalle, elle est contaminée par l’imagination qui est la source de la création. A tous les instants, la conscience demeure la même ; la connaître telle quelle est, identique à elle même qu’elle soit pure, ou voilée, c’est la réalisation et la paix intemporelle.

Q : Le sentiment « je suis » est-il réel ou irréel ?

M : Les deux à la fois. Il est irréel quand vous dites : « Je suis ceci, je suis cela », il est réel quand vous dites : « Je ne suis pas ceci, je ne suis pas cela ». Celui qui connaît va et vient avec ce qui est connu, et il est transitoire ; mais celui qui sait qu’il ne sait pas, qui est vide de mémoire et d’anticipation, est intemporel.

Q : Est-ce que le « je suis » est le témoin, ou sont-ils distincts ?

M : Sans l’un, l’autre ne peut pas exister. Cependant, ils ne sont pas un. C’est comme la fleur et sa couleur. Sans fleur, pas de couleurs ; sans couleurs, la fleur ne peut être vue. Au-delà est la lumière qui, par son contact avec la fleur, crée les couleurs. Réalisez que votre véritable nature est uniquement celle de la lumière pure, et que ce qui est perçu, comme celui qui perçoit, apparaissent et disparaissent tous deux ensemble. Ce qui les rend possibles, et qui n’est, cependant, ni l’un ni l’autre, est votre être réel, ce qui signifie ne pas être ceci ou cela, mais être la Pure Conscience de l’être et du non-être. Quand la Conscience se tourne vers elle-même, le sentiment éprouvé est celui de ne pas connaître ; quand elle est tournée vers l’extérieur, le connaissable vient à l’existence. Dire : « Je me connais » est une contradiction dans les termes car ce qui est « connu » ne peut pas être « moi-même ».

Q : Si le soi est à jamais inconnu, qu’est-ce qui se réalise dans la réalisation du soi ?

M : C’est une libération suffisante que de savoir que le connu ne peut pas être moi, ni à moi. La libération de l’auto-identification à un ensemble de souvenirs et d’habitudes, la stupeur devant l’étendue infinie de l’être, devant sa créativité inépuisable et devant sa transcendance absolue, l’absence totale de peur née de la réalisation de la nature illusoire et transitoire de tous les modes de la conscience, coule d’une source profonde et inépuisable. La réalisation de soi, c’est connaître la source comme source et l’apparence comme apparence, et se connaître soi-même comme source uniquement.

Q : De quel côté est le témoin ? Est-il réel ou irréel ?

M : Personne ne peut dire : « Je suis le témoin ». Le « je suis » est toujours vu. L’état de Pure Conscience détachée, c’est la conscience-témoin, le « mental-miroir ». Le témoin naît et disparaît avec son objet, aussi n’est-il pas tout à fait réel. Quel que soit son objet, il est toujours le même, il est donc aussi réel. Il participe à la fois du réel et de l’irréel, il constitue par conséquent un pont entre les deux.

Q : Si tout n’arrive qu’au « je suis », si le « je suis » est le connu, le connaissant et la connaissance, que fait le témoin, à quoi sert-il ?

M : Il ne fait rien et il ne sert à rien.

Q : Alors pourquoi en parler ?

M : Parce qu’il est là. Le pont n’a qu’un seul usage – permettre de traverser. Vous ne construisez pas la maison sur un pont. Le « je suis » regarde les choses, le témoin voit à travers. Il les voit telles qu’elles sont, irréelles et transitoires. Le travail du témoin, c’est de dire : « pas moi, pas à moi ».

Q : Le non-manifesté (nirguna) est-il représenté par le manifesté (saguna) ?

M : Le non-manifesté n’est pas représenté. Rien de ce qui est manifesté ne peut représenter le non-manifesté.

Q : Alors pourquoi en parlez-vous ?

M : Parce que c’est mon lieu de naissance.


Extrait de « Je Suis », Edition des Deux Océans, 1982