mercredi 22 septembre 2010

Citations du 27 septembre 1980 (A la Source de la Conscience)



Maharaj : Toute cette spiritualité a pour seul but de vous faire comprendre votre vraie nature. Pour y arriver la question est de savoir en quoi consiste « être vivant ». Lorsque vous connaissez votre véritable nature, être vivant n’est pas le fait d’un individu. Etre vivant correspond simplement à faire partie de cette manifestation spontanée. Il n’y a rien à rechercher, c’est le chercheur qui doit être perçu. Voyez le tableau tel qu’il est.


Extrait de A la Source de la Conscience, Editions Les Deux Océans, 1991

mercredi 11 août 2010

Entretien du 12 août 1979 (Graines de Conscience)

Maharaj : Etes-vous satisfait ?
Question : Parfois oui, parfois non.
M : Qui dit cela ? Qui vous le dit ?
Q : Je constate la satisfaction, c’est un sentiment se produisant dans la conscience. Moi-même, je suis indifférent. Quoi qu’il se passe, quoi qu’il apparaisse dans mon champ de conscience, je ne me sens pas concerné, cela ne m’intéresse pas, m’est étranger.
M : Ce n’est pas de l’indifférence, c’est du détachement. Ce qu’on appelle mécontentement, n’existe pas. Vous ne vous inquiétez de rien – voilà ce qu’est l’état, l’état réel. Rien ne vous attire dans ce monde ?
Q : Quoi qu’il se passe, il n’y a ni gain, ni perte.
M : Comment cela vous est-il arrivé ?
Q : Je ne sais pas.
M : N’agissez pas comme les autres, simplement parce qu’ils vous disent de le faire. Après avoir reçu ces enseignements, vous devriez vous conduire en roi, en seigneur. Telle devrait être la conduite, intérieurement et extérieurement. Aham Brahmâsmi « Je suis le Seigneur ». Avez-vous compris, ou n’avez-vous pas compris ?
Q : Je ne sais pas.
M : Avez-vous une autre question à me poser ?
Q : Le sentiment d’être conscient de moi provoque une forte tension – il s’accompagne toujours d’une forte tension dans la tête.
M : Vous devriez être témoin de cela. Vous êtes conscient (aware) de la conscience, et donc n’êtes plus dans cette sensation. Vous en êtes témoin.
Q : Cette sensation est là tout le temps.
M : Votre conscience n’est pas dans le corps. Mais l’attraction pour le corps est encore là, en sorte que cette sensation n’a pas complètement disparu. Votre conscience a quelque attirance, quelque amour pour votre corps. Maintenant, vous connaissez votre conscience, vous en êtes témoin. Auparavant, ce n’était pas le cas, parce que vous pensiez être un corps. Maintenant, vous savez que vous n’êtes pas le corps. Vous savez également que vous n’êtes pas la conscience.
Auparavant, avant d’entendre cela, avant de venir en Inde, vous appeliez la conscience mental. Maintenant votre mot pour la conscience est Jnâna (connaissance).
M : (s’adressant à quelqu’un d’autre) Voilà, j’ai répondu à votre question, êtes-vous content ?
Q : Oh oui ! depuis longtemps, quand je suis parti d’ici.
M : Maintenant, après bien des expériences, vous êtes arrivé à la conclusion que ce qui les précède ne change pas. Les expériences qui se produisent dans le monde vous laissent indifférent ?
Q : Oui, j’en suis arrivé à cette conclusion.
M : Toutes les séductions du monde ne sont plus pour vous que choses ordinaires ? Elles vous laissent indifférent. Avez-vous atteint cet état ? Ou bien sollicitez-vous encore le respect des autres, avez-vous encore envie d’augmenter vos connaissances de plus d’artifices ?
Q : Je ne peux plus souscrire à ces choses-là et donc ne les désire plus. Je n’ai plus rien avec quoi les retenir mais, qui sait, si je trouvais quelque chose avec quoi je puisse les retenir, peut-être les retiendrais-je.
M : Les désirer signifie que vous penser qu’elles présentent des avantages, qu’elles offrent des occasions.
Q : Elles sont stériles, finissent toutes par se détruire les unes les autres. D’où leur inutilité.
M : Ainsi, vous avez tout vu, tout compris. Qu’est ce qui demeure en fin ce compte ?
Q : Ce qui demeure n‘est pas perceptible.
M : Qu’est ce qui est là, qui est originel ? Qu’est ce qui est la racine ?
Q : Ce qui est à la racine n’est pas un objet.
M : Vous en êtes-vous rendu compte ?
Q : Non, parce que c’est plus vaste que moi. Comment ferais-je pour le voir ?
M : Lorsque vous passez par diverses expériences, remarquez-vous la présence de quelque chose qui était là dès le commencement mais dont vous n’étiez pas conscient ?  Prenez-vous conscience de quelque chose d’infiniment plus vaste que toutes ces expériences ? Si oui, pouvez-vous rester avec ce quelque chose ? Ou continuez-vous de passer par les expériences ?
Q : Je ne passe plus par les expériences et peux effectivement me maintenir dans ce quelque chose. C’est comme d’être sur un bateau : on ne va pas s’imaginer que c’est l’eau qui avance, on sait que c’est le bateau, mais on a conscience de la présence de l’eau.  L’on a pas à se répéter : « Ah oui, j’avance sur l’eau. » Ce qui es là avance ; au-dessous il y a ce sur quoi l’on avance.
M : En vivant tout cela, vous apercevez-vous que c’est entièrement artificiel, que ce n’est pas réel ? Qu’éprouvez-vous ?
Q : J’ai l’impression de vivre une projection que j’ai moi-même créée.
M : Ne voyez-vous pas que ce qui apparaît comme étant une illusion, la projection, n’est rien d’autre que la toute petite modification de votre propre Soi ?
Q : Si.
M : Dans ce cas, n’entrevoyez-vous pas ce qui est le plus ancien ? L’illimité ?
Q : Je ne suis pas limité par l’expérience ou par les limitations de l’expérience.
M : Le monde change en permanence. Il est toujours nouveau, mais il n’est rien d’autres que les vieilles pensées, les vieilles ruses. Par conséquent, peut-il être question pour vous de non-limitation ? Niez-vous l’existence du monde ?
Q : Non, je nie sa réalité.
M : Imaginons que vous ayez un enfant, qu’il aille à Tombouctou et y devienne roi. Il reste votre enfant, non ?
Quoi qu’il se passe, le témoin de l’évenement doit être là pour dire qu’il se produit. L’ancêtre de toute action doit être là pour observer cette action, en sorte qu’il puisse la raconter.
Q : Ce témoin, est-ce l’Absolu ou reste-t-il du domaine de la conscience ? Il doit y avoir quelqu’un qui est témoin de cette expérience ?
M : Je ne vous parle pas du témoin. Je vous parle du centre, de notre ancêtre central.
A partir d’une baie, de la forêt même d’arbustes à baies, tous les arbrisseaux ont poussé. A cause d’une seule baie.
Quel est le principe qui observe la création et l’état antérieur à la création ? L’Absolu. Seul l’état de non-être, de non-conscience sait qu’il y a conscience. L’état de non-« je suis ».
Bien des gens vous parleront des penchants de votre mental, du flot du mental, des activités se produisant dans le domaine de la conscience. Ils vous diront que si vous faites ceci vous obtiendrez cela ; mais quelqu’un vous a-t-il parlé de l’état précédant la conscience ?
L’état tout à fait inférieur ( sur la voie spirituelle) est celui de mumuksu. Le mumuksu est au début de sa recherche spirituelle et il s’identifie au corps-mental. Il a toujours cherché à obtenir des gains ou des pertes à partir du sens du corps-mental. Il rencontre un Guru et ce Guru lui dit : « Vous n’êtes pas le corps-mental, vous êtes le « je suis » manifesté. » « Je suis » est le monde manifesté. Cela, il le comprend. Il s’affermit dans le « je suis » et découvre qu’il n’est pas le corps-mental, qu’il est la manifestation ; en son temps , il s’aperçoit aussi, « je ne suis pas le « je suis », je ne suis pas la conscience ni le monde manifesté, mais l’Absolu. » Pourquoi gardez-vous le silence ? Est-ce parce que vous êtes dans la confusion ou parce qu’il n’y a pas de confusion en vous et que vous avez atteint la quiétude ?
Q : L’état de « je suis manifesté » est-ce du détachement ?
M : Quel nom donnez-vous au « je suis » ?
Q : Conscience.
M : Connaissez-vous la conscience ? Etes-vous témoin de la conscience ?
Q :
Je ne sais pas.
M : A quel principe donnez-vous le nom de conscience ?
Q : A tout ce que je perçois ou connais. Tout.
M : Qui connaît la conscience ?
Q : Je ne sais pas.
M : Ce que vous ne connaissez pas, c’est ce qui était tout à l’origine.
Q : Dans la conscience, il semble que les expériences changent continuellement et, en même temps, qu’il y a quelque chose qui ne varie jamais.
M : Par ignorance, cette connaissance vous l’appeliez mental, mais elle est en soi la connaissance de la manifestation, le pouvoir de la manifestation. Elle est à l’origine de la manifestation (Mûla-Mâya). C’est Mahesvara, c’est à dire le suprême principe d’Ishvara dont le nom est Atman.
Q : Le nom de quoi ?
M : Du sentiment « je suis » qui est le vôtre. « Je suis » sans mot c’est l’Atman. Il est très dynamique et mobile. La conscience est le mental de l‘Absolu ; la faculté de connaître, la faculter de mémoriser, le message du « je suis ».
Q : L’état de manifestation, est-ce un état d’attachement ?
M : La manifestation surgit, est créée spontanément, sans qu’il y ait attachement, mais dès qu’elle existe l’attachement naît.
Vous êtes tous silencieux et n’osez poser des questions.
Q : Les question sont pensées à l’avance ; à votre arrivée elles s’évanouissent.
M : Au sein de l’ignorance était la connaissance ; cette connaisance arrivée à maturité est devenue manifestation. Le grand ancêtre, quant à lui, précède l’ignorance.
Vous n’avez connaissance de connaître que sur la base de la non-connaissance. Tout d’abord, vous ne connaissez pas. C’est dans la non-connaissance que germe la connaissance, et sa base est l’ignorance uniquement. Bien que l’ignorance devienne connaissance en mûrissant et qu’elle se manifeste profusément, son ancêtre reste quand même l’ignorance. Avant l’ignorance, il y a l’état ancestral de l’Absolu.
Q : A quels signes reconnaît-on un Jnâni ?
M : Il est insensé de croire que l’on est un Jnâni, qu’on a la connaissance, qu’on est plein de sagesse. Quand on croit être plein de sagesse on veut être reconnu socialement, on veut un statut. Et cela est absurde.
Qu’est ce qu’un Jnâni ? le Jnâni ne sait pas qu’il est de lui-même et qui va reconnaître qui ? A chaque instant des millions de créations émanent de la non-action, spontanément, et il y a tant de chaos. Le Jnâni permettra-t-il une telle chose ?
Le Jnâni comprend que la connaissance procède de l’ignorance et que dans le processus tout arrive. Mais comme l’ignorance est à la base, il n’interfère pas, parce que lui-même ne sait pas qu’il est. Le Jnâni ne peut concentrer son attention, parce qu’il n’a pas d’attention.
L’interprète : Ce que Maharaj appelle le Connaissant, l’Absolu, ne prête attention à rien. Le fait d’être témoin survient, ce n’est pas lui qui est témoin. Il est au-delà de cet attribut : l’attention. Et vous, la conscience, vous ne pouvez pas porter votre attention sur lui. Il n’est pas connaissable.
Q : Maharj peut-il être témoin de son état de sommeil profond ?
M : Oh, oui ! Très bien.
Q : J’ai eu l’expérience suivante : tout, le corps et le mental, était là, et en même temps il n’y avait rien.
M : Cela reste un expérience. L’expérience est différente de celui qui la fait. Vous pouvez décrire vos expériences de mille façons, mais pas celui qui les fait.
L’interprète : Maharaj dit qu’il ne peut pas décrire l’Absolu, qu’il ne peut parler que de ce qui apparaît. Il est impossible de dire de lui « Il connaît ». L’Absolu est, il n’est pas question de connaissance.
M : Les états de veille et de sommeil ne savent pas ce qui les a précédés. La conscience ne connaît pas l’état qui a précédé son apparition. L’Absolu si, mais il n’appartient pas au connu.
A son insu la connaissance (knowing) est née, spontanément. Quand elle disparaît, il ne reste rien. La connaissance donne naissance aux cinq éléments Quand elle disparaît, vous restez. Tant qu’elle est là, servez-vous en pour l’investigation. Je suis piqué par un scorpion. Qu’est ce que la sensation d’être piqué ? C’est le « je suis ». Comme vous ne pouvez pas supporter la piqûre du « je suis », vous courez d’un endroit à un autre. Si vous voulez annuler les effets du poison de la piqûre, observez le « je suis », observez votre état de connaissance (knowingness). L’effet de la piqûre, ce sont les états de veille, de sommeil, de faim, de soif et ainsi de suite. Emparez-vous de l’aiguillon, l’état de connaissance (knowingness).
Q : Pour recouvrer la liberté, l’asservissement est-il indispensable ?
M : Comprenez d’abord ce qu’est l’asservissement. Observez-vous pendant vingt-quatre heures. Quand vous aurez compris « Je ne peux pas être un corps ou un mental », vous êtes, tout naturellement.
Après ce long entretien, éprouvez-vous encore le besoin d’entendre le son des mots ? De paroles, quelles qu’elles soient ? Dans le domaine de la spiritualité au sens vrai, y a-t-il réellement besoin de mots ?
Q : Non. 

Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982

jeudi 5 août 2010

Entretien du 21 août 1980 (A la Source de la Conscience)



Maharaj : Si quelqu’un est parti d’ici – en supposant qu’il ait réellement compris – il ne parviendra pas à rester seul, il lui faudra trouver un compagnon avec qui partager sa cargaison de spiritualité. Il aura besoin de la compagnie d’autres chercheurs avec qui il pourra parler de cette spiritualité, sinon il sera malheureux. En partant d’ici vous sentirez-vous heureux et satisfait même si vous ne rencontrez pas d’autres chercheurs de vérité ?
Visiteur : Oh oui ! Est-ce que ce besoin de partager ses connaissances avec d’autres est un stade que doivent connaître tous les chercheurs sérieux ?
M : Cela en fait partie, mais à un moment donné il faut que cela cesse. Le stade le plus élevé est l’état non-né au sein duquel il n’y a plus aucune expérience mentale. Explorez le concept « Je suis ». Au cours de cette recherche de votre identité il vous arrivera peut-être même d’abandonner le Soi. En abandonnant le Soi vous devenez Cela.
(Maharaj observe des moineaux posés sur le rebord de sa fenêtre). La conscience qui habite le moineau et la conscience qui habite le corps de l’homme est la même. Ici l’instrument est grand, là il est petit. Eux sont préoccupés par la nourriture, leur ventre n’est pas plein. Mais toutes les espèces souffrent, la création elle-même est souffrance. Et il y a tous ces concepts sur la réincarnation, la renaissance etc… Est-ce que la pluie renaît ? Le feu, l’air… ? En fait tout n’est que la seule transformation des cinq éléments, vous pouvez vous amusez à l’appeler renaissance !
Dans cette démarche de recherche spirituelle tout se déroule dans le royaume de la conscience et ultimement vous butez ou vous culminez sur l’Absolu, l’état Parabrahman qui est sans désir.
J’ai compris et transcendé l’être. Supposons que je vive encore cent ans – veille, sommeil, état « Je suis »… – à quoi cela servirait-il ? J’en ai assez de tout cela ! Pour moi-même je n’ai aucune identité exclusive. Tout ce que je pourrais revendiquer serait le jeu des cinq éléments et il est universel. Comme bien peu peut être dit sur cet état je ne veux pas retenir mes auditeurs plus longtemps, je vais leur donner une chose ou deux et leur demander de partir. Ils ne sont pas à même d’assimiler la profonde sagesse d’un tel niveau… quel bénéfice pourraient-il en tirer ?


Extrait de A la Source de la Conscience, Editions Les Deux Océans, 1991

mercredi 28 juillet 2010

Entretien du 21 octobre 1979 (extraits) (Graines de Conscience)


Maharaj : La connaissance « je suis » a sa source dans l’amour, et cet amour se manifeste dans le monde. Quand cette connaissance point dans le Soi c’est le bonheur complet ; mais après deux ou trois ans l’enfant entre peu à peu dans le « je » et le « mien » et perd graduellement la joie du « je suis ». Le résultat de ce processus est qu’il en arrive à la conclusion qu’il est né et va mourir.
La connaissance « je suis » est apparue en vous, et voilà que l’on vous accuse de nombre de péchés et de naissances.
Examinez-vous à fond ; êtes-vous un corps-mental ? Etes-vous né ? Qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous ? Trouvez les réponses par vous-même. Avant de naître, il n’y avait rien, pas la moindre idée que vous alliez revêtir une forme ; vous n’avez pris connaissance de cette forme qu’après que votre mère vous ait eu présenté à vous-même. Cet examen terminé, plus la moindre idée de mort ne vous viendra à l’esprit.
Question : Qu’est ce que la connaissance, l’état de connaissance (knowingness) ?
M : Elle procède de l’essence de nourriture que votre corps a assimilée. Elle est matière, autant que le corps, et disparaîtra, tout comme la flamme que voici s’éteindra. Si nous voulons survivre pour le mois à venir, n’est-il pas indispensable que nous donnions à manger au corps ? Supposons que vous gardiez de la nourriture avariée quelque part. Après un certain temps des vers et des insectes vont s’y former. N’est-ce pas la nourriture qui leur donne la vie ? Qu’indique ce fait ? Que la force vitale qui s’exprime grâce à l’insecte est contenue dans l’essence de nourriture. La force génératrice de vie est contenue dans l’essence de nourriture, et celle-ci est en soi sa propre nourriture.
Q : Tout à l’heure, Maharaj nous a parlé du « je suis » qui émane des cinq éléments. Les cinq éléments n’émanent-ils pas eux aussi du « je suis » ?
M : Oui, nous avons affaire à un cercle vicieux. Comprenez celui-ci et quittez-le. Si le corps de nourriture n’est pas là, vous serez ce que vous avez été avant que ce corps soit épuisé. La conscience, le monde, la manifestation expriment que « vous êtes ».
Pour nous résumer : comprenez tout cela et ne tentez pas d’interférer. Tous les prophètes et assistants sociaux sont venus en ce monde puis l’ont quitté ; ils n’ont pas pu changer ce qui est. C’est le jeu de la Mâyâ. Tout a surgi du néant et retournera au même état.
Le « je suis » est le produit des cinq éléments, et il produit à son tour les cinq éléments. Par conséquent, comment pourrions-nous le détruire ?
Q : La destruction est impossible, il suffit d’aller au-delà.
M : Le « je suis » fait partie du jeu. Vous lui êtes antérieur.


Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982

vendredi 23 juillet 2010

Entretien du 18 septembre 1979 (extraits) (Graines de Conscience)


Maharaj : Sommes-nous venus en ce monde par volonté personnelle de naître, ou bien l’état de connaissance (knowingness) est-il venu en nous sans que nous le sachions ?
Question : Sans que nous le sachions.
M : L’être est venu sans que vous en ayez connaissance, mais vous vous en servez selon votre volonté personnelle. Je veux condamner à mort l’individualité. Aussi, réfléchissez avec soin. L’individualité doit disparaître.
Ce n’est pas par volonté personnelle que nous parlons aujourd’hui. Nous pensons avoir le choix, mais à tort.
Vous pouvez rester en samadhi un jour, un mois, mais quand vous réintegrerez votre état habituel votre conscience n’aura pas changé. Vous croyez que c’est vous qui avez réalisé le samadhi, mais ce qui le croit est déjà là, et n’est pas venu parce que tel a été votre choix.
Q : La volonté, la volition, est-ce la même chose que « je suis » ?
M : C’est le « je suis ». Il apparaît spontanément, puis il devient l’instrument de la volonté.
Le fait d’être témoin survient au principe précédant la conscience, l’Absolu, qui cependant est témoin grâce à la conscience. Dans le rêve le « je » physique n’est pas présent et pourtant vous voyez. Le substrat de tout chose est la pure conscience (awareness).
Q : L’Absolu apparaît-il et disparaît-il spontanément ?
M : L’état antérieur à la conscience est permanent. L’apparaition et la disparition spontanées sont une qualité de la conscience.
Q : La pure conscience (awareness) peut-elle exister dans la conscience ?
M : L’Absolu, la pure Conscience (awareness) est le principe qui soutient la conscience.
Q : Mais conscience de quoi ? Peut-il y avoir conscience sans objet de conscience ?
M : Dans l’état de Parabrahman la qualité de connaissance (knowingness) n’est pas, et il n’y a aucune des fioritures ou ornementations de la conscience manifeste. L’état de Parabrahman ne sait pas qu’il est et l est en dehors de la manifestation. La dissolution d’univers et de cosmos ne touche pas l’Absolu. Il existe. Ce principe parle en ce moment à l’aide de la conscience. Dans le royaume de la conscience la manifestation se poursuit sans cesse. 

Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982

vendredi 2 juillet 2010

Citation du 19 août 1979 (Graines de Conscience)


Maharaj : Avant que l’être soit apparu en vous, vous avez existé tout le temps, mais sans en avoir conscience. L’Absolu ne se connaît pas lui-même. Notre vrai état n’est pas l’état de connaissance, mais celui d’avant la connaissance.
Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982

samedi 5 juin 2010

Les trois miracles



Maharaj : Je ne m'occupe d'aucun miracle en dehors des trois qui sont en moi : le premier est que j'ai la faculté de voir le monde ; le second est que le monde est contenu dans cette minuscule tache de conscience que je suis ; le troisième est l'apparition de l'être à partir du non être.

Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982


samedi 13 février 2010

Derniers entretiens (7 et fin)


Samedi 8 août 1981 – Une jeune femme interrogea Maharaj sur l’importance et l’utilité de la répétition d’un Japa. Maharaj commença par préciser qu’il prendrait ce terme dans son sens de mot porteur d’un propos délibéré et qui serait « protecteur ». « En répétant en permanence un Japa ou un Mantra, qu’il s’agisse d’un mot unique ou d’une combinaison de mots, vous avez l’intention de « protéger » quelque chose. Et que veut-on protéger le plus ? Ce que l’on « aime » plus que tout. Qu’est-ce que l’on aime plus que tout ? Ce dont l’on a le plus « besoin » ; et de quoi a-t-on le plus besoin ? Une chose en l’absence de laquelle tout le reste perd son sens, sa valeur. Et cette « chose » en l’absence de laquelle vous ne pouvez rien connaître, vous ne pouvez jouir de rien, n’est-ce pas l’animus, le sens de la présence qui anime, la conscience ? Ce « besoin » on ne peut plus précieux, c’est la conscience, que vous voulez « protéger » à tout prix ; et la meilleure façon de protéger quelque chose, c’est de ne pas la quitter. N’est-ce pas ?

Ainsi, le principal objet de la répétition continuelle du Japa est de demeurer constamment un avec la conscience. Mais vous devez comprendre que cette « pratique » ne vous permettra d’atteindre votre « objectif » que pendant la période limitée durant laquelle vous répétez le Japa – tandis que l’aperception de votre vraie nature n’est absolument pas fondée sur le concept du temps ; l’aperception est intemporalité. »

*

Dimanche 9 août 1981 – Cette même jeune femme désirait savoir si la pratique consistant à observer un « jour de silence » par semaine était bonne. Maharaj sourit et répondit que ce serait une excellente pratique si la signification du mot « silence » était clairement comprise. « J’ai entendu dire de certains Mahâtmâ et Guru, fort intéressés par la politique, qu’ils observaient des « jours de silence », durant lesquels ils ne parlaient pas mais communiquaient à l’aide d’un papier et d’un stylo. Je suis convaincu que cette pratique repose énormément leurs cordes vocales, mais cela mis à part, je doute qu’elle puisse engendrer tout autre bénéfice.

Ce que j’entends par « silence », c’est une absence totale de mots et de pensées. D’où vient le mot – avez-vous jamais pensé à cela ? Avant qu’un mot ne devienne un vocable émis oralement, il faut que ce soit une pensée : un mouvement dans la conscience et ainsi, la source du mot tout comme celle de la pensée est la conscience. Lorsque vous aurez compris ceci, vous comprendrez aussi que le silence parfait ne peut exister que dans l’absence de toute pensée – que lorsque cesse la pensée, et que la conceptualisation et l’objectivation sont également suspendues. Lorsque la conceptualisation cesse, l’identité, qui constitue la base de la conceptualisation, ne peut persister et dans cette absence d’identité il n’existe aucun attachement. »

*

Mardi 18 août 1981 – Ce matin là, Maharaj était trop faible pour parler. Quelqu’un suggéra d’écouter l’un des enregistrements de ses entretiens, et il en fut d’accord. Au bout d’une vingtaine de minutes, il demanda à ce que l’on arrête la cassette. Il s’assit dans son lit avec difficulté, et murmura : « Pensez à ce que vous venez d’entendre – à ce que vous avez entendu et, infiniment plus important, à qui l’a entendu. »

Après ce bref message murmuré, les mots échappèrent au maître. Sa gorge s’étrangla. Il ferma les yeux, ses frêles ressources physiques aux prises avec une douleur atroce.

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

mercredi 10 février 2010

Derniers entretiens (6)

Vendredi 17 juillet 1981 – C’était le jour sacré de Guru Pûrnimâ (la fête du guru), et Maharaj a certainement dû puiser dans ses ressources physiques faiblissantes pour prononcer quelques mots en ce jour mémorable. Il était assis dans son lit et portait un gros pull-over malgré la chaleur qui régnait dans la pièce, les fidèles étant venus en masse. Il parla tout d’abord d’une voix faible, mais celle-ci parut bientôt acquérir une nouvelle vigueur. « Vous êtes venus ici en espérant sans discontinuer que je vous donnerais un programme vous indiquant quoi faire pour obtenir la « libération ». Et moi, je ne cesse de vous répéter que puisqu’il n’existe aucune entité en tant que telle, la question de l’attachement ne se pose pas ; et que si l’on n’est pas attaché, il n’existe aucun besoin de libération. Tout ce que je puis faire, c’est vous montrer que ce que vous êtes n’est pas ce que vous pensez être.

Mais pour la plupart d’entre vous, ce que je dis est inacceptable. Et certains d’entre vous vont ailleurs, où ils se réjouissent de recevoir une liste de choses à faire et à ne pas faire. Qui plus est, ils obéissent avec foi et diligence à ce genre d’instructions. Mais ils ne réalisent pas la chose suivante : quelle que soit la pratique à laquelle ils vont s’adonner en tant qu’entité, cette pratique ne va que renforcer leur identification à l’entité illusoire, et la compréhension de la Vérité restera donc toujours autant hors d’atteinte.

On s’imagine qu’on doit d’une façon ou d’une autre se transformer, passer du stade d’être humain imparfait à celui d’être humain parfait appelé Sage. Si seulement on pouvait voir l’absurdité de cette idée ! Celui qui pense ainsi n’est lui-même qu’un concept, une apparition, un personnage dans un rêve. Comment un pur fantôme pourrait-il s’éveiller d’un rêve en se perfectionnant ?

Le seul « éveil » qui soit est l’aperception de cela-qui-est. Et il n’est nullement question d’un « qui » dans cet a-percevoir, car l’a-percevoir lui-même est notre nature véritable ; et la condition indispensable et préliminaire à un tel a-percevoir, est la disparition de l’objet manifesté. Ce qui est a-perçu est la manifestation dans sa globalité, et non pas la vision d’un « qui » se maintenant en observateur séparé. L’a-percevoir est le fonctionnement total de l’Absolu – l’a-percevoir est ce que vous êtes. L’univers qui apparaît dans la conscience est un miroir qui réfléchit chaque être doué de perception – en d’autres termes, la conscience constitue la source même de l’univers apparent. La conscience n’est pas différente de son contenu manifesté.

Et cet a-percevoir n’a absolument rien à voir avec un « qui », avec une apparition dans la conscience qui ne représente qu’une infime parcelle du fonctionnement total. La compréhension profonde et intuitive de ce fait constitue le seul « éveil », ou « illumination », la seule « libération » illusoire d’un « attachement » illusoire, l’éveil du rêve vivant.

Que fait le guru ? Le guru réalisé fait la seule chose qui puisse être faite : il montre du doigt le sad-guru qui réside en chacun. Le sad-guru est toujours présent, que vous vous souveniez de lui ou non, mais une coopération constante avec lui – quoi que vous puissiez faire – est tout ce qui est nécessaire. Tout autre effort, tout autre action volitive, ne sera non seulement d’aucune aide, mais constituerait une entrave et un danger. »

*

Dimanche 26 juillet 1981 – C’était la foule habituelle du dimanche matin. La pièce était bondée. Maharaj sourit et dit : « Les gens ont beau savoir que je ne me trouve guère en mesure de parler, ils continuent à venir me voir. Qu’espèrent-ils obtenir ? » Au prix d’efforts considérables, et avec l’aide de l’élève qui s’occupait de lui, il s’assit. Il balaya la pièce du regard et déclara qu’il ne pouvait reconnaître les visiteurs, mais si ceux-ci avaient des questions, surtout qu’ils ne les répriment pas. « Essayez cependant, ajouta-t-il, de garder à l’esprit que sur le plan intellectuel, les questions sont sans fin. »

Un visiteur demanda : « Au cours de la quête de notre vraie nature, le monde, à l’extérieur, et l’esprit, à l’intérieur, créent de nombreuses entraves. Pourquoi ? Et que doit-on faire ? » Maharaj répondit promptement : « Accrochez-vous à celui qui cherche. C’est là tout ce que vous avez besoin de faire et en fait, il n’existe rien d’autre que vous puissiez réellement faire. Si vous vous en tenez à cela – ne jamais laisser celui-qui-cherche vous échapper – vous finirez par découvrir que le chercheur n’est nul autre que la conscience en quête de sa source, et que le chercheur lui-même est à la fois la quête et le cherché, et que cela est vous. »

Il y eut plusieurs autres questions dont Maharaj s’acquitta plus ou moins sommairement, car elles avaient trait au comportement dans le monde. « C’est la nature, ou conscience en action, qui est responsable de la croissance spontanée du corps de l’instant de la conception à la naissance physique, et après quoi de l’enfance jusqu’au plein développement de la jeunesse, pour finir par la dégradation. Pourquoi acceptez-vous tout à coup la responsabilité des actions du corps, et par là l’attachement de la rétribution de telles actions ? »

Finalement, vers la fin, vint la question suivante : « Existe-t-il une différence entre une personne qui est un Ava-dhûta (celui qui est libéré des attaches du monde) et une autre qui est un Jnâni (celui qui est parvenu à la connaissance de la vérité) ? Je pose cette question parce que je voudrais savoir comment une personne réalisée agit en ce monde. »

Maharaj éclata de rire. « Tous vos mots qui forment des questions et tous mes mots qui forment des réponses semblent tout pareillement se fondre dans le néant ! Si une seule de mes réponses avait atteint son but, il n’y aurait plus aucune question. Aussi, en un sens, tout cela est pour le mieux ; vos questions continuelles et mes réponses contribuent les unes comme les autres à faire passer le temps d’agréable façon ! D’ailleurs, il n’y a rien d’autre à faire puisqu’il n’existe aucun « objet » à ce que nous considérons comme l’Univers – tout cela est la Lîlâ, et nous entrons dans la danse. Mais cela, il nous faut bien le comprendre.

Ceci étant, voyons votre question. Ava-dhûta, Jnâni, réalisé, tous ces noms désignent un état, dont le postulat de base même est la négation totale d’une entité individuelle séparée ; et pourtant la question se fonde sur la notion qu’un être libéré est une « personne », et vous voulez savoir comment cette personne agit dans le monde. Voyez-vous la contradiction ? Dès qu’il y a réalisation, la différence entre un soi et les autres disparaît et avec elle, bien évidemment, disparaît aussi la notion d’un quelconque « faire » de cette pseudo-personnalité, disparaît la notion d’être l’auteur de ses actions. Par conséquent, une fois que la réalisation est survenue – et comprenez bien que « personne n’acquiert » la réalisation – il ne saurait demeurer aucun sentiment de volition, ou de désir, ou de choix des actions.

Je vous en prie, essayez de comprendre la portée de ce que je viens de dire. Si vous avez compris mes paroles, vous aurez également compris qu’il ne saurait exister une « personne réalisée » et donc, qu’il ne peut être question de savoir comment une personne réalisée agit dans le monde. Qu’arrive-t-il alors à « son » corps ? La réponse aux situations extérieures est spontanée, de nature intuitive, sans aucune interférence de l’esprit divisé individuel, ce qui exclut ainsi toute question d’activité volitive. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

mercredi 3 février 2010

Derniers entretiens (5)

Mardi 14 juillet 1981 – Il y avait là un groupe de trois visiteurs qui venaient voir Maharaj pour la première fois. Bien que s’étiolant dans son lit et d’une extrême faiblesse, Maharaj leur demanda s’ils avaient des questions. Après un bref conciliabule à voix basse, ils s’accordèrent à ne poser qu’une question : « Maharaj, nous poursuivons tous trois une certaine sâdhanâ depuis un certain temps, mais il semble que nous ne progressions pas comme il conviendrait. Que devrions-nous faire ? »

« L’objectif de tout effort, répondit Maharaj, est d’obtenir quelque chose, quelque bénéfice qui nous échappe encore. Qu’essayez-vous d’obtenir ? »

La réponse fut nette et sans détour : « Nous voulons devenir comme vous, nous éveiller. »

Maharaj eut un rire et s’assit dans son lit. Une fois que sa position eut été rendue plus confortable par deux oreillers lui soutenant le dos, il poursuivit : « C’est là que réside tout le malentendu – penser que vous êtes une entité qui doit effectuer quelque chose afin de devenir semblable à l’entité que vous pensez que je suis ! C’est cette pensée-là, l’identification à une entité, qui constitue « l’attachement » - et rien, absolument rien d’autre que la désidentification ne pourra engendrer la « libération ».

Comme je l’ai dit, vous vous voyez et vous me voyez comme des entités, des entités séparées ; moi, je vous vois exactement comme je me vois moi-même. Vous êtes ce que je suis ; mais vous vous êtes identifiés à ce que vous pensez être – un objet – et vous recherchez la libération de cet objet. N’est-ce pas là une gigantesque farce ? Un objet peut-il avoir une existence indépendante et décider de ses actes ? Un objet peut-il être attaché ? Et libéré ? »

Le questionneur joignit les mains, inclinant la tête pour marquer son respect, et avec la plus grande révérence admit que les paroles de Maharaj ne pouvaient assurément pas être remises en cause en tant qu’idée théorique, mais que sûrement, même si les gens ne sont que des entités fictives, rien de plus que de simples apparitions dans la conscience, comment pouvions-nous vivre dans le monde à moins d’accepter une certaine « réalité » des diverses entités de la vie ?

Cette discussion semblait insuffler un extraordinaire élan à Maharaj, et la faiblesse de sa voix disparut peu à peu : « Vous voyez combien le sujet est subtile, dit-il. Vous avez fourni la réponse à votre propre question, mais elle vous a échappé. Vous venez de dire que vous savez que l’entité en tant que telle est totalement fictive et ne possède aucune indépendance en propre – ce n’est qu’un concept ; mais cette entité fictive doit mener sa vie normale. Où donc est le problème ? Est-il si difficile de vivre normalement, sachant que la vie elle-même est un concept ? Avez-vous saisi ? Une fois que vous avez vu la nature de faux du faux, une fois que vous avez vu la nature duelle de ce que vous appelez la « vie » – et qui en réalité est le vivre – le reste devrait être simple ; aussi simple qu’un acteur jouant son rôle avec entrain, sachant que ce n’est qu’un rôle qu’il joue dans une pièce de théâtre ou un film et rien de plus.

Reconnaître ce fait avec conviction, a-percevoir cette situation, voilà toute la vérité. Le reste est participer au jeu. »

*

Jeudi 16 juillet 1981 – Seuls quelques visiteurs réguliers étaient présents. Maharaj, bien que visiblement épuisé, demanda que quelqu’un pose une question, ou nous expose quelque chose ! Aussi, l’un d’entre nous commença-t-il par ces mots : « La conscience que j’ai… »

S’il s’était agi d’un visiteur occasionnel, Maharaj n’aurait certainement pas relevé l’implication de ce qui venait d’être dit. Mais celui-là était un « habitué », qui aurait dû mieux savoir. Maharaj lança un « Stop ! » tonitruant. En dépit de son état asthénique, l’injonction retentit comme un coup de canon. Il lança un regard furibond à l’orateur : « Que voulez-vous dire, par « La conscience que j’ai » ? Réalisez-vous le non-sens que vous venez de proférer ? Comment pouvez-« vous » ou n’importe qui d’autre, avoir la conscience ? Réalisez-vous la grandeur inimaginable, la sainteté de ce que vous appelez si légèrement « la conscience » ? Donnez-lui le nom que vous voudrez, le mot n’est pas ce qu’il signifie. Comment pouvez-vous oublier la vérité fondamentale que la conscience est l’expression même de ce-que-nous-sommes ? C’est par une mise en mouvement de la conscience que l’Absolu devient conscient d’être au travers de la manifestation, et tout l’univers vient à l’existence.

Peut-être est-ce par inadvertance que vous avez prononcé ces mots, je n’en ai aucune idée, mais cette inadvertance même montre la puissance du conditionnement qui vous fait vous identifier au corps. Vous pensez que vous êtes le corps et que le corps possède la conscience. Si vous devez considérer le sujet en termes de l’un possédant l’autre, c’est assurément la conscience qui est en possession, non seulement du corps que vous pensez être, mais également des millions d’autres corps au travers desquels la conscience fonctionne en tant que Prajnâ. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

samedi 30 janvier 2010

Derniers entretiens (4)

C’était un dimanche, et la petite chambre de Maharaj était comble. La plupart des visiteurs étaient des habitués, mais un petit groupe venait d’arriver d’une région reculée du pays. Leur « capitaine » se rendit compte de l’épuisement physique de Maharaj et se résigna à devoir se satisfaire, avec ses compagnons, d’un simple Darshan. Mais Maharaj se redressa dans son lit, tourna directement son regard sur le groupe de nouveaux venus et demanda en souriant s’ils avaient des questions, ajoutant qu’il ne se sentait vraiment pas bien physiquement et qu’il espérait que ces questions seraient judicieuses. Le groupe se consulta brièvement à voix basse, et le « chef » dit avec un grand respect qu’il n’avait qu’une question à poser : Existe-t-il réellement une chose telle que « l’illumination » ? Il ajouta que cette question n’était pas posée avec frivolité, mais s’appuyait sur une longue quête spirituelle. Maharaj sourit et commença à parler, en dépit de l’épuisement nettement visible sur son visage. Il s’assit bien droit et sa voix prit une vigueur inattendue. « Malgré ce que je ne cesse de leur répéter, dit-il, même les visiteurs réguliers semblent incapables d’accepter le fait que la notion d’une nécessité individuelle d’illumination est un pur non-sens. Fondamentalement, seul « Je » existe ; il n’y aucun « moi » ou « vous », à illuminer. Comment un objet phénoménal, qui n’est qu’une apparition, pourrait-il être transformé par « l’illumination » en quelque chose d’autre que ce qu’il est, c’est-à-dire une apparition ? « L’illumination », c’est a-percevoir que tout ce que nous croyons être notre condition normale – celle d’un objet – n’est qu’une condition temporaire, comme une maladie, qui est venue se greffer sur notre état véritable et normal, d’Absolu. On réalise tout à coup que ce qui était considéré « normal », en fait ne l’était pas. Cette aperception entraîne une sorte de réajustement instantané faisant passer d’une existence individuelle, à simplement l’existence en tant que telle ; la volition disparaît et quoi qu’il se produise, cela semble juste et adéquat. On devient témoin de tout ce qu’il se produit, ou plutôt, seul demeure l’action témoin. »

*

Ce matin-là, Maharaj reposait dans son lit, manifestement au-delà du mental. Pendant plusieurs minutes, les visiteurs – pas très nombreux, car nous étions en semaine – restèrent assis en silence. Soudain le maître ouvrit les yeux, et dit très doucement qu’il n’y aurait pas d’entretien car il était trop faible pour parler. Mais il nous adressa un sourire bienveillant et ajouta d’une voix ténue : « Si seulement vous pouviez appréhender, profondément et intuitivement, ce que vous étiez avant d’acquérir ce corps-avec-conscience, disons il y a une centaine d’années, vous pourriez voir le monde, même de cette prison physique, sans le sentiment de dualité – sans vous prendre pour ce centre individuel illusoire. La conceptualisation cesserait. »

Puis le maître agita la main pour indiquer que l’entretien était terminé, et les visiteurs se dispersèrent.

*

Dimanche 12 juillet 1981 – Comme de coutume ces derniers temps, Maharaj était couché dans son lit, sa fidèle élève et intendante, Anna, lui massant les jambes. Il respirait relativement difficilement, essentiellement par la bouche, et semblait presque complètement endormi. Puis soudain il se démena pour s’asseoir, et on l’aida à se redresser. Reposant lourdement sur les oreillers mis en place derrière son dos, il se mit à parler d’une voix étonnement ferme. « Ce que je veux vous dire est d’une simplicité surprenante, pour peu que cela soit a-perçu. Et l’amusant en est que cela ne peut être a-perçu que si « l’auditeur » est totalement absent ! Alors seul demeure l’a-percevoir et vous êtes cet a-percevoir.

Voilà ce qu’il en est : l’Absolu s’exprime dans la manifestation ; la manifestation prend place au travers de millions de formes ; la conscience fonctionne dans chacune de ces formes, le comportement et le fonctionnement de chaque forme correspondant, sur un plan général, à la nature fondamentale de la catégorie à laquelle appartient ladite forme (plante, insecte, lion ou être humain), et sur un plan particulier, à la nature de la combinaison spécifique des éléments fondamentaux dans chacune de ces formes.

Aucun être humain n’est semblable à un autre (ne serait-ce qu’au niveau des empreintes digitales) car les permutations et combinaisons des millions de nuances des huit aspects (les cinq éléments fondamentaux et les trois Guna) donnent lieu à des milliards de formes, dont aucune n’est exactement semblable à une autre. Des millions de ces formes sont constamment créées et détruites dans le processus de la manifestation.

Une perception claire de ce processus de la manifestation comporte la compréhension que : a) Il n’est en réalité absolument pas question de la moindre identification à une quelconque forme individuelle, car la base même de cette manifestation-spectacle est la durée (de chaque forme) et la durée est un concept de temps ; et b) Notre véritable nature est l’acte-témoin de ce spectacle. Il va sans dire que l’acte-témoin ne peut avoir lieu que tant que se poursuit le spectacle, et le spectacle ne peut se poursuivre que tant qu’il y a conscience. Et qui va comprendre tout ceci ? La conscience, bien sûr, qui s’efforce de chercher sa source et ne la trouve pas, car le chercheur est le cherché. A-percevoir cette vérité constitue la seule (et définitive) libération, et le « joker », dans tout cela, est le fait que même la « libération » constitue un concept ! Maintenant, allez et réfléchissez à cela. »

A l’issue de ces quelques mots, Maharaj était totalement épuisé. Il se rallongea dans son lit. D’une voix faible, il ajouta : « Ce que j’ai dit ce matin est toute la Vérité que chacun a besoin de connaître. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

mercredi 27 janvier 2010

Derniers entretiens (3)

Un jour, un visiteur ayant soulevé la question de « l’éthique » et du comportement moral (thèmes qui ont toujours été considérés hors sujet en ce lieu), Maharaj fut si amusé qu’en dépit d’une extrême faiblesse physique, il s’assit et dit qu’il ne cesserait jamais d’être étonné devant la confusion mentale manifestée même par des présumées intellectuels. Il s’étrangla littéralement de rire, dans un violent accès de toux. « Une fois que vous avez compris qu’il existe un lieu spécifique, les toilettes, destiné à un certain usage, interrogea-t-il, iriez-vous faire cela dans le salon ou dans la chambre à coucher ?

A partir du moment où il y a une aperception sans équivoque de votre véritable nature, à partir du moment où vous avez clairement vu la nature du faux, est-il question d’avoir à décider du bien-fondé ou non d’une action ? Qui va en décider ? Possède-t-on l’autonomie de volonté pour statuer ? Existe-t-il réellement le moindre choix ? Une fois que l’on a a-perçu qu’il n’existe aucune entité jouissant de la moindre liberté d’action, la « vie » qui suivrait ne serait-elle pas une vie totalement non volitive ? L’aperception par elle-même, autrement dit, ne conduirait-elle pas à un abandon – ou plus exactement, à une cessation spontanée du concept même d’une activité volitive ? Peu importe que l’on pense vivre ; en réalité, nous sommes seulement « vécus ». »

Epuisé par ce bref mais pétulant exposé, Maharaj se rallongea dans son lit, disant qu’il aurait aimé développer ce point, mais qu’il n’en avait tout simplement pas la force physique. « Et c’est peut-être tout aussi bien, ajouta-t-il avec une pointe d’humour forcé, que je ne puisse plus donner maintenant que des pastilles de connaissance. »

*

Ce matin-là, Maharaj était trop faible pour ne serait-ce que se tenir assis, mais il était d’humeur à causer. Il se mit à parler lentement à voix basse : « Quel magnifique sujet nous avons là ! Le sujet est insaisissable, la personne qui pense écouter est illusoire, et pourtant personne n’est convaincu de ne pas exister ! Quand vous venez ici, je vous reçois avec plaisir et je vous offre mon humble hospitalité, mais ce faisant, je suis pleinement conscient de la situation exacte, à savoir qu’il n’existe ni orateur, ni auditeur. Pourquoi se fait-il que personne ne puisse sincèrement dire qu’il n’existe pas ? Parce que l’on sait être présent – ou plutôt, il y a un sentiment intuitif de présence ; mais aussi, et cela est un point capital, parce qu’aucune entité ne pourra jamais dire qu’elle n’existe pas. Le simple fait qu’une entité affirme qu’elle n’existe pas, témoigne de son existence !

Cependant, voici le point le plus important, et qui n’est guère facile à saisir : la source de cette personne phénoménale (qui est la manifestation de l’Absolu) est l’absence de l’Absolu. Bien plus – je me demande combien d’entre vous pourront appréhender mes paroles – cela signifie qu’à chaque fois que l’esprit est en « jeûne », exempt de toute conceptualisation, il y a absence de l’objet manifesté, et cette présence de l’absence de l’objet manifesté est l’Absolu. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié

samedi 23 janvier 2010

Derniers entretiens (2)


Un autre matin, Maharaj reposait à demi assis dans son lit, les yeux clos. Un par un, les visiteurs étaient arrivés et s’étaient assis en silence. Voyant le maître reposer, ils méditaient, les yeux fermés. Il est surprenant de voir combien il est facile d’entrer dans l’état de l’esprit « en jeûne » en présence du maître. Tout à coup, Maharaj se mit à parler, encore que d’une voix très faible. « Vous venez ici en attendant quelque chose. Certes, vous désirez la Connaissance, avec un C majuscule – la Vérité suprême – mais vous attendez néanmoins quelque chose. La plupart d’entre vous viennent ici depuis relativement longtemps. Pourquoi ? S’il y avait eu aperception de ce que j’ai dit, il y a longtemps que vous auriez dû cessez de venir ! Mais voilà ce qu’il s’est produit : en fait, vous êtes venu ici jour après jour, identifiés à des êtres individuels, de sexe masculin ou féminin, en compagnie de plusieurs personnes ou choses que vous dites « vôtres ». Et qui plus est, vous pensez être venus ici de votre propre volonté, voir un autre individu – un guru – qui, espérez-vous, va vous « libérer » de votre « attachement ».

Ne voyez-vous pas combien tout ceci est grotesque ? Votre présence ici, jour après jour, ne montre qu’une seule chose : vous n’êtes pas prêts à accepter ma parole qu’il n’existe rien de tel qu’un « individu » ; que « l’individu » n’est qu’une apparition ; qu’une apparition ne peut souffrir d’aucun « attachement » et, par conséquent, qu’il ne saurait être question d’une quelconque « libération » pour une apparition.

Réalisez-vous que la base même de votre recherche est fallacieuse – que pouvez-vous faire ? Et y a-t-il quelque chose à faire ? Par qui ? Par une apparition ?

Ce n’est pas tout. Certains enregistrent mes propos sur un magnétophone ; d’autres prennent des notes. Dans quel but ? Pour renforcer encore un peu plus le conditionnement ? Ne réalisez-vous pas qu’il n’a jamais été question du moindre « vous » ? Quoi qu’il ait pu se produire (si tant est qu’il se soit produit quelque chose), cela a été spontané. Il n’y a jamais eu de place pour un individu dans le Tout de la manifestation ; tout le fonctionnement se passe au niveau de l’espace physique conceptuel (Mahadâkâsh), lequel est contenu dans une parcelle de conscience conceptuelle, espace mental du temps, de la perception et de la cognition (Chid-âkâsh). Et cette totalité du connu finit par se fondre dans la potentialité infinie de la Réalité intemporelle et a-spatiale (Paramâkâsh). Dans cette manifestation conceptuelle, des formes innombrables sont créées et détruites, l’Absolu étant immanent dans toutes les formes phénoménales. Dans tout cela, où les individus figurent-ils en tant qu’individus ? Nulle part. Et pourtant partout, car nous sommes la manifestation. Nous sommes le fonctionnement. Nous sommes la vie en train d’être vécue. Nous sommes la vie du rêve. Mais pas en tant qu’individus.

L’aperception de cette vérité annihile le chercheur individuel ; le chercheur devient le cherché et le cherché, c’est l’aperception. »

*

Lors d’un autre entretien, Maharaj aborda un autre aspect de ce même thème (les visiteurs qui viennent le voir en quête de connaissance). Cette fois-là, il demanda : « Quelle est cette « connaissance » que vous désirez, cette connaissance sur laquelle vous prenez des notes ? Quel usage allez-vous faire de ces notes ? Avez-vous accordé la moindre réflexion à ce sujet ?

La seule chose qui compte, poursuivit-il, est la suivante : Eprouviez-vous le moindre désir de connaissance il y a cent ans ? Cela, que vous ne connaissez pas et ne pouvez pas connaître, est votre état véritable. Ceci, que vous pensez être réel parce que ce peut être objectivé, est ce que vous emblez être. Quoi que vous cherchiez à savoir sur votre condition véritable, cela est inconnaissable, parce que vous êtes ce que vous cherchez. Toute la connaissance que vous pouvez obtenir se situe à un niveau conceptuel – la connaissance impartie à une apparition objective. Une « connaissance » de ce type ne diffère en rien de « l’ignorance », car ce sont des contreparties interreliées appartenant au registre conceptuel.

En d’autres termes, la compréhension intellectuelle n’est qu’une conceptualisation et à ce titre, elle est totalement illusoire. Comprenez bien, je vous en prie, la différence entre cette connaissance conceptualisée et l’aperception intuitive, non conceptuelle. En fait, a-percevoir, c’est un voir-total, ou voir-intégré, radicalement du voir intellectuel. Une fois qu’il y a aperception, la dualités des contreparties, base même de la simple compréhension intellectuelle, disparaît totalement. Il n’est nullement question de « quiconque » pensant qu’il a compris quelque chose au moyen du raisonnement et de la logique. La compréhension véritable est aperception spontanée, intuitive et sans choix, et totalement non-duelle. Méditez sur ce que je viens de dire. »

Ramesh Balsekar, Les Orients de l'être, Ed. du Relié