mercredi 11 août 2010

Entretien du 12 août 1979 (Graines de Conscience)

Maharaj : Etes-vous satisfait ?
Question : Parfois oui, parfois non.
M : Qui dit cela ? Qui vous le dit ?
Q : Je constate la satisfaction, c’est un sentiment se produisant dans la conscience. Moi-même, je suis indifférent. Quoi qu’il se passe, quoi qu’il apparaisse dans mon champ de conscience, je ne me sens pas concerné, cela ne m’intéresse pas, m’est étranger.
M : Ce n’est pas de l’indifférence, c’est du détachement. Ce qu’on appelle mécontentement, n’existe pas. Vous ne vous inquiétez de rien – voilà ce qu’est l’état, l’état réel. Rien ne vous attire dans ce monde ?
Q : Quoi qu’il se passe, il n’y a ni gain, ni perte.
M : Comment cela vous est-il arrivé ?
Q : Je ne sais pas.
M : N’agissez pas comme les autres, simplement parce qu’ils vous disent de le faire. Après avoir reçu ces enseignements, vous devriez vous conduire en roi, en seigneur. Telle devrait être la conduite, intérieurement et extérieurement. Aham Brahmâsmi « Je suis le Seigneur ». Avez-vous compris, ou n’avez-vous pas compris ?
Q : Je ne sais pas.
M : Avez-vous une autre question à me poser ?
Q : Le sentiment d’être conscient de moi provoque une forte tension – il s’accompagne toujours d’une forte tension dans la tête.
M : Vous devriez être témoin de cela. Vous êtes conscient (aware) de la conscience, et donc n’êtes plus dans cette sensation. Vous en êtes témoin.
Q : Cette sensation est là tout le temps.
M : Votre conscience n’est pas dans le corps. Mais l’attraction pour le corps est encore là, en sorte que cette sensation n’a pas complètement disparu. Votre conscience a quelque attirance, quelque amour pour votre corps. Maintenant, vous connaissez votre conscience, vous en êtes témoin. Auparavant, ce n’était pas le cas, parce que vous pensiez être un corps. Maintenant, vous savez que vous n’êtes pas le corps. Vous savez également que vous n’êtes pas la conscience.
Auparavant, avant d’entendre cela, avant de venir en Inde, vous appeliez la conscience mental. Maintenant votre mot pour la conscience est Jnâna (connaissance).
M : (s’adressant à quelqu’un d’autre) Voilà, j’ai répondu à votre question, êtes-vous content ?
Q : Oh oui ! depuis longtemps, quand je suis parti d’ici.
M : Maintenant, après bien des expériences, vous êtes arrivé à la conclusion que ce qui les précède ne change pas. Les expériences qui se produisent dans le monde vous laissent indifférent ?
Q : Oui, j’en suis arrivé à cette conclusion.
M : Toutes les séductions du monde ne sont plus pour vous que choses ordinaires ? Elles vous laissent indifférent. Avez-vous atteint cet état ? Ou bien sollicitez-vous encore le respect des autres, avez-vous encore envie d’augmenter vos connaissances de plus d’artifices ?
Q : Je ne peux plus souscrire à ces choses-là et donc ne les désire plus. Je n’ai plus rien avec quoi les retenir mais, qui sait, si je trouvais quelque chose avec quoi je puisse les retenir, peut-être les retiendrais-je.
M : Les désirer signifie que vous penser qu’elles présentent des avantages, qu’elles offrent des occasions.
Q : Elles sont stériles, finissent toutes par se détruire les unes les autres. D’où leur inutilité.
M : Ainsi, vous avez tout vu, tout compris. Qu’est ce qui demeure en fin ce compte ?
Q : Ce qui demeure n‘est pas perceptible.
M : Qu’est ce qui est là, qui est originel ? Qu’est ce qui est la racine ?
Q : Ce qui est à la racine n’est pas un objet.
M : Vous en êtes-vous rendu compte ?
Q : Non, parce que c’est plus vaste que moi. Comment ferais-je pour le voir ?
M : Lorsque vous passez par diverses expériences, remarquez-vous la présence de quelque chose qui était là dès le commencement mais dont vous n’étiez pas conscient ?  Prenez-vous conscience de quelque chose d’infiniment plus vaste que toutes ces expériences ? Si oui, pouvez-vous rester avec ce quelque chose ? Ou continuez-vous de passer par les expériences ?
Q : Je ne passe plus par les expériences et peux effectivement me maintenir dans ce quelque chose. C’est comme d’être sur un bateau : on ne va pas s’imaginer que c’est l’eau qui avance, on sait que c’est le bateau, mais on a conscience de la présence de l’eau.  L’on a pas à se répéter : « Ah oui, j’avance sur l’eau. » Ce qui es là avance ; au-dessous il y a ce sur quoi l’on avance.
M : En vivant tout cela, vous apercevez-vous que c’est entièrement artificiel, que ce n’est pas réel ? Qu’éprouvez-vous ?
Q : J’ai l’impression de vivre une projection que j’ai moi-même créée.
M : Ne voyez-vous pas que ce qui apparaît comme étant une illusion, la projection, n’est rien d’autre que la toute petite modification de votre propre Soi ?
Q : Si.
M : Dans ce cas, n’entrevoyez-vous pas ce qui est le plus ancien ? L’illimité ?
Q : Je ne suis pas limité par l’expérience ou par les limitations de l’expérience.
M : Le monde change en permanence. Il est toujours nouveau, mais il n’est rien d’autres que les vieilles pensées, les vieilles ruses. Par conséquent, peut-il être question pour vous de non-limitation ? Niez-vous l’existence du monde ?
Q : Non, je nie sa réalité.
M : Imaginons que vous ayez un enfant, qu’il aille à Tombouctou et y devienne roi. Il reste votre enfant, non ?
Quoi qu’il se passe, le témoin de l’évenement doit être là pour dire qu’il se produit. L’ancêtre de toute action doit être là pour observer cette action, en sorte qu’il puisse la raconter.
Q : Ce témoin, est-ce l’Absolu ou reste-t-il du domaine de la conscience ? Il doit y avoir quelqu’un qui est témoin de cette expérience ?
M : Je ne vous parle pas du témoin. Je vous parle du centre, de notre ancêtre central.
A partir d’une baie, de la forêt même d’arbustes à baies, tous les arbrisseaux ont poussé. A cause d’une seule baie.
Quel est le principe qui observe la création et l’état antérieur à la création ? L’Absolu. Seul l’état de non-être, de non-conscience sait qu’il y a conscience. L’état de non-« je suis ».
Bien des gens vous parleront des penchants de votre mental, du flot du mental, des activités se produisant dans le domaine de la conscience. Ils vous diront que si vous faites ceci vous obtiendrez cela ; mais quelqu’un vous a-t-il parlé de l’état précédant la conscience ?
L’état tout à fait inférieur ( sur la voie spirituelle) est celui de mumuksu. Le mumuksu est au début de sa recherche spirituelle et il s’identifie au corps-mental. Il a toujours cherché à obtenir des gains ou des pertes à partir du sens du corps-mental. Il rencontre un Guru et ce Guru lui dit : « Vous n’êtes pas le corps-mental, vous êtes le « je suis » manifesté. » « Je suis » est le monde manifesté. Cela, il le comprend. Il s’affermit dans le « je suis » et découvre qu’il n’est pas le corps-mental, qu’il est la manifestation ; en son temps , il s’aperçoit aussi, « je ne suis pas le « je suis », je ne suis pas la conscience ni le monde manifesté, mais l’Absolu. » Pourquoi gardez-vous le silence ? Est-ce parce que vous êtes dans la confusion ou parce qu’il n’y a pas de confusion en vous et que vous avez atteint la quiétude ?
Q : L’état de « je suis manifesté » est-ce du détachement ?
M : Quel nom donnez-vous au « je suis » ?
Q : Conscience.
M : Connaissez-vous la conscience ? Etes-vous témoin de la conscience ?
Q :
Je ne sais pas.
M : A quel principe donnez-vous le nom de conscience ?
Q : A tout ce que je perçois ou connais. Tout.
M : Qui connaît la conscience ?
Q : Je ne sais pas.
M : Ce que vous ne connaissez pas, c’est ce qui était tout à l’origine.
Q : Dans la conscience, il semble que les expériences changent continuellement et, en même temps, qu’il y a quelque chose qui ne varie jamais.
M : Par ignorance, cette connaissance vous l’appeliez mental, mais elle est en soi la connaissance de la manifestation, le pouvoir de la manifestation. Elle est à l’origine de la manifestation (Mûla-Mâya). C’est Mahesvara, c’est à dire le suprême principe d’Ishvara dont le nom est Atman.
Q : Le nom de quoi ?
M : Du sentiment « je suis » qui est le vôtre. « Je suis » sans mot c’est l’Atman. Il est très dynamique et mobile. La conscience est le mental de l‘Absolu ; la faculté de connaître, la faculter de mémoriser, le message du « je suis ».
Q : L’état de manifestation, est-ce un état d’attachement ?
M : La manifestation surgit, est créée spontanément, sans qu’il y ait attachement, mais dès qu’elle existe l’attachement naît.
Vous êtes tous silencieux et n’osez poser des questions.
Q : Les question sont pensées à l’avance ; à votre arrivée elles s’évanouissent.
M : Au sein de l’ignorance était la connaissance ; cette connaisance arrivée à maturité est devenue manifestation. Le grand ancêtre, quant à lui, précède l’ignorance.
Vous n’avez connaissance de connaître que sur la base de la non-connaissance. Tout d’abord, vous ne connaissez pas. C’est dans la non-connaissance que germe la connaissance, et sa base est l’ignorance uniquement. Bien que l’ignorance devienne connaissance en mûrissant et qu’elle se manifeste profusément, son ancêtre reste quand même l’ignorance. Avant l’ignorance, il y a l’état ancestral de l’Absolu.
Q : A quels signes reconnaît-on un Jnâni ?
M : Il est insensé de croire que l’on est un Jnâni, qu’on a la connaissance, qu’on est plein de sagesse. Quand on croit être plein de sagesse on veut être reconnu socialement, on veut un statut. Et cela est absurde.
Qu’est ce qu’un Jnâni ? le Jnâni ne sait pas qu’il est de lui-même et qui va reconnaître qui ? A chaque instant des millions de créations émanent de la non-action, spontanément, et il y a tant de chaos. Le Jnâni permettra-t-il une telle chose ?
Le Jnâni comprend que la connaissance procède de l’ignorance et que dans le processus tout arrive. Mais comme l’ignorance est à la base, il n’interfère pas, parce que lui-même ne sait pas qu’il est. Le Jnâni ne peut concentrer son attention, parce qu’il n’a pas d’attention.
L’interprète : Ce que Maharaj appelle le Connaissant, l’Absolu, ne prête attention à rien. Le fait d’être témoin survient, ce n’est pas lui qui est témoin. Il est au-delà de cet attribut : l’attention. Et vous, la conscience, vous ne pouvez pas porter votre attention sur lui. Il n’est pas connaissable.
Q : Maharj peut-il être témoin de son état de sommeil profond ?
M : Oh, oui ! Très bien.
Q : J’ai eu l’expérience suivante : tout, le corps et le mental, était là, et en même temps il n’y avait rien.
M : Cela reste un expérience. L’expérience est différente de celui qui la fait. Vous pouvez décrire vos expériences de mille façons, mais pas celui qui les fait.
L’interprète : Maharaj dit qu’il ne peut pas décrire l’Absolu, qu’il ne peut parler que de ce qui apparaît. Il est impossible de dire de lui « Il connaît ». L’Absolu est, il n’est pas question de connaissance.
M : Les états de veille et de sommeil ne savent pas ce qui les a précédés. La conscience ne connaît pas l’état qui a précédé son apparition. L’Absolu si, mais il n’appartient pas au connu.
A son insu la connaissance (knowing) est née, spontanément. Quand elle disparaît, il ne reste rien. La connaissance donne naissance aux cinq éléments Quand elle disparaît, vous restez. Tant qu’elle est là, servez-vous en pour l’investigation. Je suis piqué par un scorpion. Qu’est ce que la sensation d’être piqué ? C’est le « je suis ». Comme vous ne pouvez pas supporter la piqûre du « je suis », vous courez d’un endroit à un autre. Si vous voulez annuler les effets du poison de la piqûre, observez le « je suis », observez votre état de connaissance (knowingness). L’effet de la piqûre, ce sont les états de veille, de sommeil, de faim, de soif et ainsi de suite. Emparez-vous de l’aiguillon, l’état de connaissance (knowingness).
Q : Pour recouvrer la liberté, l’asservissement est-il indispensable ?
M : Comprenez d’abord ce qu’est l’asservissement. Observez-vous pendant vingt-quatre heures. Quand vous aurez compris « Je ne peux pas être un corps ou un mental », vous êtes, tout naturellement.
Après ce long entretien, éprouvez-vous encore le besoin d’entendre le son des mots ? De paroles, quelles qu’elles soient ? Dans le domaine de la spiritualité au sens vrai, y a-t-il réellement besoin de mots ?
Q : Non. 

Extrait de Graines de Conscience, Editions Les Deux Océans, 1982

jeudi 5 août 2010

Entretien du 21 août 1980 (A la Source de la Conscience)



Maharaj : Si quelqu’un est parti d’ici – en supposant qu’il ait réellement compris – il ne parviendra pas à rester seul, il lui faudra trouver un compagnon avec qui partager sa cargaison de spiritualité. Il aura besoin de la compagnie d’autres chercheurs avec qui il pourra parler de cette spiritualité, sinon il sera malheureux. En partant d’ici vous sentirez-vous heureux et satisfait même si vous ne rencontrez pas d’autres chercheurs de vérité ?
Visiteur : Oh oui ! Est-ce que ce besoin de partager ses connaissances avec d’autres est un stade que doivent connaître tous les chercheurs sérieux ?
M : Cela en fait partie, mais à un moment donné il faut que cela cesse. Le stade le plus élevé est l’état non-né au sein duquel il n’y a plus aucune expérience mentale. Explorez le concept « Je suis ». Au cours de cette recherche de votre identité il vous arrivera peut-être même d’abandonner le Soi. En abandonnant le Soi vous devenez Cela.
(Maharaj observe des moineaux posés sur le rebord de sa fenêtre). La conscience qui habite le moineau et la conscience qui habite le corps de l’homme est la même. Ici l’instrument est grand, là il est petit. Eux sont préoccupés par la nourriture, leur ventre n’est pas plein. Mais toutes les espèces souffrent, la création elle-même est souffrance. Et il y a tous ces concepts sur la réincarnation, la renaissance etc… Est-ce que la pluie renaît ? Le feu, l’air… ? En fait tout n’est que la seule transformation des cinq éléments, vous pouvez vous amusez à l’appeler renaissance !
Dans cette démarche de recherche spirituelle tout se déroule dans le royaume de la conscience et ultimement vous butez ou vous culminez sur l’Absolu, l’état Parabrahman qui est sans désir.
J’ai compris et transcendé l’être. Supposons que je vive encore cent ans – veille, sommeil, état « Je suis »… – à quoi cela servirait-il ? J’en ai assez de tout cela ! Pour moi-même je n’ai aucune identité exclusive. Tout ce que je pourrais revendiquer serait le jeu des cinq éléments et il est universel. Comme bien peu peut être dit sur cet état je ne veux pas retenir mes auditeurs plus longtemps, je vais leur donner une chose ou deux et leur demander de partir. Ils ne sont pas à même d’assimiler la profonde sagesse d’un tel niveau… quel bénéfice pourraient-il en tirer ?


Extrait de A la Source de la Conscience, Editions Les Deux Océans, 1991