Visiteur : J’ai lu « Je Suis » et j’ai décidé de venir vous voir.
Maharaj : Ayant lu le livre êtes-vous parvenu à l’état témoin ?
V : Je l’ai compris mais je ne l’éprouve pas. Mon agitation cérébrale ne s’est pas calmée.
M : N’avez-vous aucune intuition sur la manière dont vous vous trouvez relié à votre véritable nature ?
V : Un petit peu.
M : Avez-vous des questions à poser ?
V : Je vous serai très reconnaissant si vous pouvez m’indiquer comment avoir l’esprit en paix !
M : Grâce à l’Atman, votre appui, votre support, vous êtes relié par le corps au reste du monde. Cet appui n’est autre que la connaissance « vous êtes ». Méditez sur le principe vous permettant de percevoir « vous êtes », le principe grâce auquel vous faites l’expérience du monde. Méditez sur cette constatation qui n’est autre que la conscience, établissez-vous dans ce « vous êtes ».
V : Mais je n’obtiens pas une telle concentration.
M : Ignorez votre esprit pensant de la même manière dont vous ne prêtez aucune attention à la foule que vous croisez dans la rue.
V : Je vais essayer.
M : Cet esprit pensant est en fait un principe dynamique universel mais nous, nous l’avons mutilé en le ramenant aux dimensions du corps, nous nous sommes placés sous sa dépendance et de là proviennent tous nos maux. Regardez l’eau du lac de Tensa. Cette eau appartient à tout Bombay, elle alimente les canalisations de toutes les maisons. Pouvons-nous prétendre que cette eau soit mienne ou vôtre ?
Voyez bien que le moi réel est universel. C’est par erreur que nous le limitons à un corps, erreur qui crée tous nos problèmes. On peut également l’appeler Ishwara, Dieu, le principe universel. Si vous vous fixez à ce niveau une sagesse profonde se lèvera en vous et vous connaître la paix.
V : Je m’efforce de méditer, mais mes pensées vagabondent de ci, de là. M’efforcer de demeurer indifférent aux flots des pensées est un processus qui, je le crains, peut être long.
M : N’êtes-vous pas la racine même de tout processus ?
V : La racine de tout ce qui existe est la vie.
M : Oui, mais cette force de vie est universelle, elle n’est pas personnalisée. Quand vous aurez pris clairement conscience de cela, vous n’aurez plus aucun ennui.
V : C’est exact, mais quand l’esprit bat la campagne, je ne m’en sors pas. Quelquefois je ressens bien que la vie est universelle, mais un instant plus tard elle redevient individuelle. Comment me débarrasser de ces continuels changements ?
M : Il ne s’agit ici que de façon de parler. L’eau est universelle, vous l’employez lorsque vous en avez besoin. De même, utilisez les pensées pour remplir vos fonctions et le reste du temps laissez-les couler d’elles-mêmes, sans interférences, sans desseins, comme l’eau d’une rivière dans laquelle vous ne puisez que lorsque cela vous est nécessaire.
Ce qui est dit ici est destiné aux gens intelligents (à un visiteur indien). Que faites-vous ici, vous perdez votre temps ! Vous n’allez rien comprendre à ces conversations, vous vous contentez de chanter les bhajans à la gloire d’un dieu !
(Au premier visiteur). Savez-vous pourquoi je respecte les visiteurs étrangers ? Parce que ce sont des chercheurs persévérants, ils veulent obtenir la vérité qu’ils pressentent mais n’ont pas encore réussi à localiser.
V : C’est vrai, lorsqu’ils abordent un sujet ils l’étudient en profondeur.
M : Bien que nous parlions ensemble tous deux, nous ne sommes en fait pas là. C’est le thème d’aujourd’hui.
Au commencement il n’y a personne, uniquement possibilité d’être. Puis instantanément il y a un, deux. Le sujet traité aujourd’hui est la façon dont ces deux se réduisent à un et finalement à rien.
De la vacuité est spontanément ressenti une présence, le sentiment d’existence. C’est un. Ensuite, quand la possibilité d’existence éprouve « je suis », la dualité apparaît , s’identifie plus tard à une forme et ainsi de suite. Mais en fait se référer au sentiment d’existence pour poser « un » est faux parce que dans cet état prédomine seulement une possibilité, un potentiel d’être, c’est quand il est perçu que le un et le deux apparaissent simultanément.
Pour dire « quelque chose est », je dois en premier être là. Si « je » ne suis pas, « je » ne peux pas dire « quelque chose est ». Donc en spiritualité le principe fondamental est ce « je » qui doit être présent avant quoi que ce soit d’autre. Ce « je » est l’être, qui est forcément premier.
V : Vous avez dit au début « il y a un » et aussi « il n’y a personne » !
M : Quand on regarde profondément en soi-même, c’est-à-dire quand on se fixe au sein de sa nature véritable, il n’y a personne.
V : Mais quand on se fond en soi-même on demeure pourtant un !
M : Dans une formulation raisonnée cela apparaît ainsi, il n’existe pourtant rien de semblable.
V : Vous avez dit que la vie est éternelle, donc la vie est présente !
M : Mais il ne s’agit pas de la vie d’un individu. C’est l’Absolu transcendant, la conscience universelle.
V : La vie est éternelle, ce qui veut bien dire que la vie est là pour toujours !
M : Oui, potentiellement la vie est toujours présente. Mais aucune perception n’est possible si une forme corporelle n’est pas disponible. Quand le corps meurt les sens cessent de fonctionner et cette entité vie ne peut plus percevoir le monde. L’existence d’un univers perceptible n’est possible que lorsqu’une forme corporelle est présente, dotée de connaissance et d’activité. Le point essentiel à comprendre ici est qu’un observateur disposant de sens en ordre de marche doit exister pour qu’un univers également existe. L’intellect doit interpréter les messages des sens pour conclure que l’univers existe. Si l’intellect ou les sens de l’observateur cessent de fonctionner, l’univers de l’observateur cesse d’exister.
V : Mais ces sens permettant de voir, toucher, parler, appartiennent au corps et non pas à l’Atman.
M : Sans Atman les sens ne peuvent pas fonctionner, mais lui demeure dans l’essence du corps.
V : L’Atman peut changer de corps ?
M : L’Atman n’a pas de corps, comment pourrait-il en changer ? Il suppose par erreur que « je suis » signifie le corps.
V : Donc l’Atman est quelque chose distinct du corps ?
M : Atman n’est pas l’individu, il vous faut nettement comprendre cela. Atman éprouve le sentiment d’être grâce à un corps en possession de sens en ordre de marche, autrement Atman ne se ressent pas lui-même.
V : Pour parvenir à cela dois-je méditer ?
M : Oui, la méditation est nécessaire. Si vous pouvez méditer continuellement c’est très bien, mais avec les occupations de la vie quotidienne c’est rarement possible. La méditation pratiquée aux premières heures du jour est utile et efficace. Mais vous pouvez la pratiquer chaque fois que vous en aurez le temps. Les chercheurs ardents peuvent méditer n’importe quand. Au début vous devez vous asseoir dans un endroit tranquille avec beaucoup de temps devant vous, l’esprit au repos. Lorsque vous vous serez apaisé, stabilisé, il vous sera possible de méditer n’importe où et n’importe quand.
Imaginons un chercheur déjà avancé assis en méditation. Il s’est totalement perdu en lui-même. Il n’est pas conscient de ce qui se passe autour de lui parce que son attention est entièrement focalisée sur l’attention. De plus, dans cet état rien ne peut lui arriver. Votre méditation doit atteindre une telle qualité. Ce n’est pas difficile, quelqu’un profondément préoccupé est-il distrait par ce qui se passe autour de lui ?
Quand vous êtes en méditation, la notion « je suis » s’imprègne de « je suis » à l’exclusion de tout autre chose. Au sein d’un tel état se révèle intuitivement comment et pourquoi ce sentiment « je suis » a fait son apparition.
V : Grâce à l’état « je suis » ?
M : Conscience, contact avec l’être, sentiment « je suis », tout cela veut dire la même chose. Tout cela est en vous avant l’apparition des mots.
Il y a ici un point délicat, tâchez de le comprendre clairement. Quand je dis « avant la conception je n’étais pas » cela signifie que je n’étais pas semblable à ce « je suis » actuel. Mais le « je » à même de se rendre compte de cela se devait d’être présent pour pouvoir apprécier l’absence du « je suis » actuel. Etant donné l’absence du corps, le « je » antérieur à la conception n’a aucun sentiment d’être, aucun sentiment « je suis ». C’est à l’arrivée du corps que « je suis » s’impose à ce « je » initial.
Seule la méditation vous révélera comment et pourquoi il est apparu. Vous devez être animé sans cesse par le besoin de découvrir ce qu’est ce sens du « je suis ». Si vous constatez que votre chambre a une odeur épouvantable vous n’aurez de cesse que la source de cette puanteur soit découverte et lorsque vous aurez trouvé un rat mort vous irez précipitamment le jeter. Si au contraire un parfum délicieux vous atteint, vous aller tenter de chercher à découvrir la fleur dont il est issu. Il vous faut remonter à la source de ce parfum « je suis » et atteindre son « pourquoi » et son « comment » !
V : Comment remonter à la source ?
M : En partant du niveau corps-pensant vous ne trouverez rien. C’est le principe qui va tout seul se découvrir lui-même. Quelqu’un, que vous pouvez appeler Bhagawan, Vasudev ou Seigneur ou Dieu, est tellement épris de ce parfum qu’il veut le perpétuer.
V : Un jour mes efforts porteront leurs fruits et je le découvrirai automatiquement ?
M : Sa signification sera annulée, dissoute au moment même où vous l’aurez découvert et vous serez libéré de cet engouement de Vasudev.
V : Autrement dit, je crois qu’à partir du moment où vous le ressentez vous n’avez pas besoin d’aller le chercher, il vient automatiquement vers vous et lorsque vous l’avez compris vous pouvez l’utiliser comme vous l’entendez.
M : Dans cet état vous serez bien au-delà de volonté et désir ! Vous n’aurez plus besoin de quoi que ce soit, aucun désir ne subsistera parce qu’ils seront tous comblés.
V : Oui, mais ce que je voulais dire c’est que je me serai enfin uni à cet état.
M : Vous n’en avez jamais été séparé, pourquoi parler de réunion ?
V : Mais dans mon état actuel je me considère seulement comme un corps !
M : C’est le concept que vous avez adopté et il vous trompe.
V : Mais quand j’aurai enfin trouvé cela je serai libre !
M : (Maharaj cite un hymne de Guru Nanak) « Oh esprit pensant, que cherches-tu ? L’intérieur et l’extérieur sont une même chose, seul un concept te les montre comme intérieur et extérieur. Quand délivré du concept « je suis le corps » le pot de terre nommé Nanak se brise, où est l’intérieur, où est l’extérieur… ? Il n’y a plus que « Je » prédominant en toute chose ».
Nanak a dit aussi : « Ce sentiment « je suis » est dans le corps comme le parfum dans la fleur, l’image dans le miroir ! Abandonne donc ton nom, Nanak, et aussi ton identification à ce corps ».
Demeurez fidèle à ce sentiment « je suis » et vous serez libéré.
V : Quand je m’efforce de toucher le moi profond il me semble que cela crée d’autres moi.
M : Mais qui donc remarque ces multiples moi ? Une pensée produit d’autres pensées. Qui voit la pensée initiale ?
V : C’est ce que je voudrais savoir !
M : Vous seul observez la pensée initiale. Si l’observateur de la pensée initiale n’était pas vous comment pourriez-vous percevoir les autres pensées ? Si vous comprenez ce processus dans sa totalité tout est terminé, vous pouvez repartir.
Exposer, expliquer les concepts est facile, mais les comprendre et les abandonner est difficile et rare.
V : Comment se débarrasser des pensées et de la formation de nouveaux concepts sur la manière de s’en débarrasser ? Si pensées et concepts disparaissent, serais-je « un avec cela » ?
M : Ne vous efforcez pas de devenir quelque chose, ne faites rien. Sans penser à aucun de ces mots, demeurez tranquille. Quand un mot jaillit, il crée un sens, une signification que vous chevauchez et qui vous emporte au galop. Demeurez éveillé à l’état qui précède le jaillissement du mot. Vous faites la queue derrière les mots et vous prétendez être à la recherche de vous-même ! Avez-vous approché des sages ?
V : Non, c’est la première fois.
M : Avez-vous lu des livres de spiritualité ?
V : J’ai lu Guru Bani, Paul Brunton, Ramana Maharshi.
M : Vous avez atteint la maturité spirituelle, c’est pour cela que vous êtes ici et que vous vous efforcez de comprendre. Les autres se disputent avec moi. Ils bouillonnent de concepts, s’enfièvrent, débordent et n’arrivent même pas à entendre ce que je dis. Au niveau du corps-intellect votre identité a continuellement changé, aucune n’est demeurée constante et fidèle. Alors d’où vient cette attirance pour ces identités vous poussant à affirmer « je suis comme ci, je suis comme ça » ?
V : Par moment, je me sens comme ceci et par moment comme cela, oui. C’est mental !
M : Qui d’autre que vous peut percevoir ces moments ? Vous êtes l’unique observateur de ces différents moments. Tout ce qui est vu dans ces différents moments, tout ce qui est perçu à l’intérieur ou à l’extérieur, vous ne l’êtes pas.
V : Je m’efforce de comprendre.
M : Durant la méditation vous pouvez avoir la conviction « je suis uniquement Guru Nanak » comme d’autres ressentent « je suis Krishna ». Ces identités n’ont aucune stabilité. C’est l’observateur de ces identités qui est stable et c’est vous qui êtes l’observateur, l’éternel.
Prenez l’exemple d’un pauvre acteur jouant le rôle d’un roi avec tant de talent qu’il est félicité par tout le monde, ce n’est pas pour cela qu’il devient roi ! Vous, vous n’êtes pas d’avantage Guru Nanak, vous êtes l’observateur. Tout ce que vous voyez et percevez est le jeu de Maya, le principe d’illusion.
Extrait de Ni ceci, ni cela, Editions Les Deux Océans, 1986
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